Transcription épisode 3

Ceci est la transcription de l’épisode 3 de Nolotec Podcast.

Investisseurs

L'Apple I n'était qu'un apéritif pour Steve Jobs et Steve Wozniak. Les deux s'attellent dès sa fin de développement à créer un successeur. Cependant, pour cela, il faut trouver de l'argent. Ainsi, pendant que Woz travaille sur ce qui deviendra l'Apple II, Jobs part à la recherche d'investisseurs. Il comprend, grâce à son expérience sur l'Apple I et du retour du patron du Byte Shop, que s'il veut vendre beaucoup d'ordinateurs, il faut qu'il l'ouvre au grand public. Pour cela, il faut un ordinateur tout-en-un, facile à utiliser. Or, Apple a besoin de beaucoup de fonds pour arriver à produire une telle machine.

Il faut transformer l'entreprise. Finis le temps de l'artisanat où chaque machine était fabriqué et testé à la main, il faut passer à la production de masse. Il faut sortir du garage pour devenir une vraie société.

L'idée même d'un ordinateur grand public est totalement incongrue. La plupart des ordinateurs à la fin des années 70 sont ce qu'on appelle des gros systèmes, c'est-à-dire des ordinateurs massifs vendus très cher (plusieurs centaines de milliers de dollars) à de très grandes entreprises pour être utilisé par plusieurs ingénieurs en même temps. Ainsi, un ordinateur vendu et utilisé par une seule et même personne semble être une idée impossible et stupide.

Jobs rencontre beaucoup de banques mais celles-ci ne sont pas impressionnées, c'est le moins que l'on puisse dire. Jobs est jeune, sans expérience, arrogant, mal habillé et son business plan est incompréhensible : les banques ne comprennent même pas le concept d'ordinateur personnel.

Jobs demande alors conseil à son ami, Nolan Bushnell, patron d'Atari. Grâce à lui et à des intermédiaires, il rencontre Mike Markkula. 

Mike Markkula fait fortune en vendant ses actions acquises alors qu'il travaillait chez Fairchild Semi Conductor et chez Intel, où il était directeur marketing. Il a 32 ans et grâce à la vente de ses actions, il a suffisamment de fonds pour prendre tranquillement sa retraite. Il cherche alors, en quelque sorte, à renvoyer l'ascenseur en aidant des entreprises de la Silicon Valley à se développer en les conseillant et, parfois, en investissant. 

Il a tout de celui qui a réussi : une montre en or au poignet sur le volant d'une sublime Corvette. Bon, c'est la réussite à l'américaine à la fin des années 70... Il impressionne fortement les Steve lors de leur première rencontre.

Après avoir vu un prototype d'Apple II, il discute avec les Steve. Il semble bien connaître son sujet. Sur le champ, il décide d'investir 250 000$ dans Apple : 170 000$ sous la forme de prêt et 80 000$ d'investissement pur. Jobs et Woz sont totalement abasourdis. Ils ne s'attendaient pas à une telle somme d'argent aussi rapidement.

En contre-parti, Markkula veut un tiers d'Apple, au même titre que Woz et Jobs. De manière prophétique, il dit aux Steve qu'Apple fera parti des 500 plus grandes sociétés américaines dans les 10 ans. Il est le seul à le croire. Cela, pourtant, prendra deux fois moins de temps.

Il a un avantage sur les Steve : il comprend totalement l'importance que va avoir le microprocesseur sur le monde. Il sait que ce n'est qu'une question de temps avant que quelqu'un sorte un ordinateur qui exploitera correctement tout ce que promet cette technologie. Tout cela, il le sait car il a travaillé chez Fairchild puis chez Intel avec les génies qui ont créé le microprocesseur. 

Markkula est le premier à penser qu'Apple pourra vendre un ordinateur à tout le monde et pas seulement aux bricoleurs. Il pense qu'un ordinateur est utile pour tous, comme par exemple pour gérer son argent ou ses recettes de cuisine.

Markkula est très important dans l'histoire d'Apple. Il apporte non seulement des fonds qui sont primordiaux pour le développement de la société, mais il donne une aura de respectabilité à l'entreprise, chose que ne peuvent pas faire Woz et Jobs avec leurs dégaines de hippie. Cela permettra à l'entreprise de paraître crédible aux yeux des fournisseurs et des banques.

Jobs est impressionné par Markkula : d'une certaine façon, ce millionnaire à peine trentenaire est tout ce qu'il veut devenir. Il commence à s'en inspirer : il change de comportement (un peu, on ne peut pas le changer comme ça) et surtout il commence à faire attention à son apparence, par exemple en portant des costumes pour être présentable et être pris un peu plus au sérieux.

C'est markkula aussi qui embauche le premier CEO d'Apple, Michael Scott (aucun lien avec la série The Office). Il l'a rencontré à l'époque où ils travaillaient tous les deux pour Fairchild. Scott est exactement ce dont a besoin Apple pour se lancer : expérimenté, discipliné et travailleur. Cependant, il est tout le contraire de Markkula. Alors que l'investisseur est quelqu'un de sympathique et affable (il est un spécialiste du marketing après tout) Scott est plus rustre et direct, sans concession. Dès le départ, Scott et Jobs ne vont pas s'entendre.

Scott essaie de structurer Apple correctement. Il s'occupe de louer des locaux pour accueillir les nouvelles recrues, il recherche des usines pour produire le futur Apple II, créer une équipe de commerciaux, gère le contrôle de qualité, crée des liens avec des fournisseurs et des développeurs, etc. Malgré l'inimitié, Jobs apprendra beaucoup à ses côtés.

Néanmoins, Scott et Jobs auront tendance à se chamailler très régulièrement sur tous les sujets, même les plus futiles. Cela commence dès le départ. Afin d'organiser les ressources humaines, Scott doit donner des numéros aux employés suivant leur ordre d'embauche. Scott veut donner le numéro 1 à Woz et le 2 à Jobs. Steve Jobs est offusqué car il veut être le numéro 1 et Woz est prêt à lui laisser. Scott refuse car il considère que le rôle de Woz est plus important. Sans doute veut-il aussi remettre Jobs à sa place. Ainsi, malgré les supplications de Jobs, et ses pleurs, Scott remporte la partie. Jobs n'a pas le choix mais rumine. C'est le début de la discorde entre Scott et Jobs.

Quelque années plus tard, quand Scott sera partie d'Apple, Jobs changera son numéro d'employé pour prendre le numéro 0 afin d'être devant Woz.

Pour pérenniser son investissement, Markkula insiste pour que les deux Steve travaillent à temps plein pour Apple. Ce n'est pas un problème pour Jobs car il n'a pas vraiment d'autre activité. Par contre, c'est beaucoup plus compliqué pour Woz qui travaille toujours chez HP. Il adore son travail et l'entreprise. Il hésite beaucoup à la quitter. En effet, il déteste donner des ordres et faire preuve d'autorité. Il a peur qu'en devenant un des patrons d'Apple, il sera obligé d'avoir ce rôle. Il pense à abandonner Apple tellement cela le stresse pour garder son petit travail tranquille de technicien chez HP.

Il annonce même à Jobs et Markkula qu'il se retire de l'aventure Apple pour rester chez HP à temps plein.

Les jours suivants, tout le monde l'appelle pour lui dire qu'il fait une grosse bêtise d'abandonner Apple. Son père, sa mère, son frère et ses amis l'appellent sans cesse. C'est Jobs qui a tout organisé en sous main en les contactant.

Enfin, un ami, Allen Baum, l'appelle pour lui dire, je cite : "il est totalement possible de créer une entreprise et de rester technicien. Tu n'es pas obligé de faire du management et de donner des ordres".

Woz avait besoin d'entendre cela, d'entendre qu'il pouvait rester tranquillement au bas de l'échelle pour continuer à faire ce qu'il adore. Il appelle alors Jobs pour lui dire qu'il démissionne pour se consacrer à temps plein à Apple.

Apple II

Après la présentation de l'Apple I au HBCC, de nombreux ordinateurs similaires, c'est-à-dire avec un clavier et un écran, commencent à se vendre un peu partout dans la SC. 

Cependant, Woz travaille déjà sur un prototype de l'Apple II qui est, sur tous les plans, bien supérieur à ce qu'il voit. Par exemple : l'entreprise Processor Technology vend un ordinateur appelé le SOL-20 qui a du succès : plus de 1000 ventes par mois. Il se trouve que cet ordinateur est fait par des personnes du HBCC qui ont vu l'Apple I : Lee Felsenstein (qui fait office de présentateur au HBCC) et Gordon French, chez qui a eu lieu la première réunion.

Woz n'est pas impressionné par le SOL-20, il le trouve même assez médiocre. Lui et Steve pensent qu'ils peuvent vendre l'Apple II à beaucoup plus d'exemplaires que le SOL-20. 

Pour faire son prototype d'Apple II, Woz hésite à partir de l'Apple I mais décide au final de faire un ordinateur totalement nouveau. Autant l'Apple I était en fait une modification de son terminal Arpanet, autant l'Apple II est un tout nouvel ordinateur et Woz sera son seul créateur.

Il part sur le principe fondamental de l'Apple I, c'est-à-dire un ordinateur avec un clavier et un écran. Au niveau des capacités techniques, Woz a un but assez simple : l'Apple II doit pouvoir faire tourner son jeu favori Breakout. Breakout est un jeu d'Atari qui est une variation du jeu Pong. Peut-être que certains d'entre vous le connaissent mieux sous le nom d'une version appelée Arkanoid, c'est mon cas. Le principe est simple : vous dirigez la raquette en bas de l'écran et vous devez renvoyer les balles vers le haut où se trouve des briques qui disparaissent une fois touchée par la balle.

Pour faire tourner le jeu, il faut que l'Apple II gère la couleur car c'est ainsi que les briques de Breakout se différencient. Il faut aussi que l'ordinateur puisse générer du son qui est produit à chaque contact entre la balle et les briques et il faut enfin que l'on puisse brancher un joystick sur l'ordinateur à l'aide d'une carte d'extension. 

Woz décide d'intégrer le système d'exploitation avec un langage de programmation, le BASIC, dans une puce de la machine. Ainsi, au lieu de charger le système d'exploitation pour pouvoir utiliser l'ordinateur, l'Apple II charge en démarrant le système automatiquement rendant l'ordinateur beaucoup plus facile à utiliser et en faisant gagner du temps. Plus besoin de passer des dizaines de minutes à chaque mise sous tension à charger le système d'exploitation et la gestion d'un langage de programmation. C'est le premier ordinateur a démarré automatiquement ainsi avec son système d'exploitation et un langage de programmation prêt à l'emploi intégré dans la ROM de lancement.

D'ailleurs, un des moments marquant pour Woz est quand il arrive à porter Breakout sur son prototype d'Apple II en le programmant avec le langage BASIC intégré. Il se rend alors compte de la puissance du logiciel, lui qui est plus un spécialiste du matériel et de l'électronique. Avec sa version de BASIC, il met 30 minutes pour programmer un prototype de Breakout. Il sait que s'il avait dû le faire uniquement en électronique, comme sur les bornes d'arcade, cela lui aurait pris beaucoup plus de temps, au moins des semaines.

Ainsi, le développement se passe bien mais Jobs ne peut s'empêcher de mettre son grain de sel. En effet, il n'aime pas l'idée des cartes d'extension, il veut absolument qu'il y en ait un minimum. Pour lui, proposer deux cartes d'extension est suffisant. Il pense en effet qu'un utilisateur ne voudra, au plus, brancher qu'une imprimante et un modem. Woz quand à lui a prévu d'en mettre huit, il ne veut pas limiter les utilisations futurs que l'on ne peut pas anticiper. Généralement, Woz est facile à vivre et à tendance à éviter les confrontations. Mais ce ne sera pas le cas ici : c'est une des rares fois où il tiendra tête à son ami. Il dit à Jobs : Si tu veux deux ports, tu n'as qu'à créer ton propre ordinateur. On imagine aisément que cela n'a pas du plaire à Jobs.

L'Apple II aura donc bien 8 ports d'extension. Cela aura une grande importance par la suite : des utilisateurs trouveront de nouvelles utilisations grâce à ses ports. Des entreprises entières vont se créer afin de développer de nouvelles cartes d'extension et former un écosystème autour de l'Apple II.

De manière générale, l'Apple II est la machine faite suivant les spécifications exclusives de Woz. Il n'y a pas d'étude de marché : Woz fait sa machine rêvée pour lui. 

Jobs a tout de même mis sa patte sur un élément précis de l'Apple II : il ne veut pas que la machine fasse de bruit. Il pense que, pour être un ordinateur grand public, l'Apple II doit être silencieux. Pour cela, il veut qu'il n'y ait pas de ventilateur. Cette lubie reviendra sans cesse chez Jobs et Apple dans les différents produits qu'il sortira par la suite. Or, une des sources de chaleurs principale de l'ordinateur, qui demande un ventilateur pour être refroidi, est l'alimentation. Aucune alimentation sans ventilateur n'existe à l'époque. Qu'à cela ne tienne, Jobs embauche un ingénieur de génie, Rodney Holt, afin qu'il en invente une qui ne chauffe pas suffisamment pour avoir besoin d'un ventilateur.

Le résultat est delà des espérances : non seulement la fantastique alimentation de Rodney Holt n'a pas besoin de ventilateur car elle génère beaucoup moins de chaleur mais elle est aussi beaucoup plus petite, plus légère et moins gourmande en énergie. Ce gain de place va se répercuter dans le casier qui sera alors beaucoup moins encombrant.

Outre son alimentation, tout est optimisé à son paroxysme. Effectivement, l'Apple II a beaucoup moins de puces que la concurrence, le rendant très stable grâce à la limitation des connexions mais aussi très abordable. 

Au final, l'Apple II aura deux fois moins de puces que l'Apple I en étant beaucoup plus rapide, plus petit et moins cher à fabriquer.

De son côté, Jobs ne chôme pas. Il veut ouvrir l'Apple II au plus grand nombre. Il faut donc que son apparence soit la plus sympathique possible. Les ordinateurs à l'époque sont quelque chose qui fait peur au grand public. Ils sont souvent dans des casiers austères en métal froid aux arêtes vives et aux vis apparentes. 

Jobs veut s'inspirer des premiers robots ménagers qui commencent à apparaître à la fin des années 70. En effet, les femmes sont de plus en plus nombreuses à travailler et n'ont plus le temps de passer des heures à préparer les repas familiaux. Jobs est très intéressé par le design de ces robots : leur casier est fait en plastique thermoformable rendant leurs formes plus attrayantes grâce à leurs couleurs et à leurs coins et bords arrondis et agréables au toucher. Jobs veut la même chose pour le casier de l'Apple II : il sera le premier ordinateur avec un casier en plastique.

Il est intéressé aussi par l'utilisation de ces appareils ménagers : il faut juste les brancher et tout fonctionne. L'Apple II récupérera certaines de ces spécificités : il faut que tout soit intégré, du clavier, à l'alimentation en passant par le logiciel et le moniteur.

L'Apple II est le premier ordinateur à pousser autant l'intégration de tous les éléments.

Jobs veut cacher le côté technique et froid de l'ordinateur par un design réussi. Il fait tout pour que les puces, les câbles et les vis soient cachées. D'ailleurs, aucune vis n'est visible car tout est vissé de l'intérieur rendant un aspect extérieur immaculé. De même, si l'utilisateur ouvre le casier, il trouvera une carte mère où tout est soigné. Jobs s'est même battu pour que toutes les connexions soient en lignes droites avec des angles à 90 degrés, donnant un rendu propre et professionnel. Ce souci du détail et du design restera dans l'ADN d'Apple. 

L'Apple II a de la concurrence, le marché change rapidement et est en pleine ébullition avec des nouveaux ordinateurs qui sortent chaque mois. Seulement, l'Apple II a des avantages sur les autres machines du marché. Il est très flexible, en effet il peut tout aussi bien être utilisé dans un contexte professionnel que par des passionnés pour bidouiller. Enfin, avec son design et son interface clavier/écran accessible, il est prêt pour être utilisé par le grand public.

Dernier élément en sa faveur, l'Apple II est extrêmement modulable grâce à ses 8 ports d'extension. Il est aussi possible d'ajouter de la mémoire si besoin, or aucun ordinateur de la concurrence ne le permet. Cet élément aura une grande importance par la suite pour l'utilisation de certains logiciels, comme VisiCalc.

À la première présentation publique de l'Apple II à la West Coast Computer Faire, Jobs vient habiller d'un superbe costume. Les personnes sur le stand qui viennent voir l'Apple II sont tellement impressionnés par la machine qu'ils n'y croient pas leurs yeux. Régulièrement, Jobs est obligé d'ouvrir les rideaux du stand pour montrer que c'est bien le petit ordinateur qui affiche tous ces graphismes chatoyants sur l'écran et non un gros système caché derrière les rideaux.

Lecteur de disquette

Malgré toutes ses qualités, l'Apple II n'est pas exempt de défaut. Le principal est qu'il ne possède qu'un lecteur de cassettes pour l'enregistrement des données. Or, la concurrence commence à proposer un lecteur de disquettes, media plus rapide et fiable que les cassettes. Le développement d'un tel lecteur demande des mois et une équipe de plusieurs ingénieurs mais le temps manque. 

En effet, Markkula en a besoin pour le présenter aux CES qui se déroule un mois plus tard. Il se tourne alors vers Woz et lui demande s'il peut le faire en si peu de temps. Woz acquiesce et se met au travail. Il n'y a que lui qui peut faire ce genre de prouesse.

Non seulement il arrive à le développer en un temps record mais en plus le lecteur est une totale réussite.

Il est tellement optimisé, comme c'est l'habitude avec Woz, qu'il ne possède que 4 puces. La plupart des concurrents en ont au moins dix fois plus. Le logiciel développé pour contrôler le lecteur est si bien pensé que des collègues de Woz diront que c'est de la poésie sous forme numérique.

Grâce à Woz, le lecteur est non seulement fiable (ce qui n'est pas le cas des autres lecteurs de disquette) mais aussi très abordable. 

Le lecteur sort à l'été 1978 et il est rapidement en rupture de stock. En parallèle, les ventes de l'Apple II explosent. 

Au niveau marketing, Jobs veut faire une publicité dans la presse. Il sait que le public des ordinateurs est en très grande majorité masculin. Jobs décide alors que la première publicité pour l'Apple II sera dans le magazine Playboy, rarement lu par la gente féminine. Même si cela peut paraître caricatural à dire, le magazine Playboy n'était pas uniquement acheté pour ces jolies photos tout en élégance (hum). En effet, il y avait de nombreux articles intéressants dont certains sont restés dans les mémoires comme par exemple une interview de Martin Luther King. Outre les articles, de nombreux auteurs connus mondialement ont participé à la renommée du magazine comme Hunter Thompson, Truman Capote, Margaret Atwood, Kurt Vonnegut, Ray Bradbury, Isaac Asimov, Arthur C. Clarke ou encore le génial Frank Herbert. Playboy est alors pionnier dans l'édition de textes de science-fiction. Pas étonnant alors que Jobs le choisisse pour faire la publicité de l'Apple II.

Logo Apple

La société grandit et change. Parmi toutes ses transformations, il faut qu'Apple abandonne son logo vieillot dessiné par Ronald Wayne pour un plus moderne, plus marquant. Le logo choisit est une pomme, croquée, barrée horizontalement par 6 couleurs chatoyantes. Les couleurs sont présentes pour montrer que l'Apple II peut afficher des couleurs, contrairement à tous les autres ordinateurs monochromes. La pomme est croquée afin d'éviter de la confondre avec une tomate ou encore une cerise. 

C'est aussi peut-être un petit jeu de mot : en effet une bouchée de pomme se dit, en anglais, Apple bite. Or bite avec un i qui veut dire morsure, peut aussi phonétiquement rappeler byte (cette fois avec un y) qui veut dire octet en anglais. 

Pour rappel, l'octet est une unité de stockage de données qui regroupe 8 bits, c'est-à-dire à 8 données au format binaire, 0 ou 1. On retrouve l'octet dans les unités suivantes telles que Giga Octets ou Tera Octets.

VisiCalc

Comment parler de l'Apple II sans parler de VisiCalc ?

VisiCalc est le premier logiciel tableur de l'histoire. Il va transformer l'Apple II : il devient alors un vrai outil de travail qui peut booster considérablement la productivité. 

On peut considérer VisiCalc comme la première Killer App. Une Killer App est un logiciel qui, à lui seul, fait vendre des ordinateurs. C'est une notion que l'on connait bien aujourd'hui dans le monde des jeux vidéo où un seul jeu peut faire vendre des consoles : par exemple Halo pour les Xbox, Gran Turismo/Uncharted pour les Playstation, Mario/Zelda pour les consoles Nintendo.

L'origine de VisiCalc vient d'un étudiant de Harvard frustré lors d'un cours sur le calcul prévisionnel. Alors qu'il remplit une feuille quadrillée à la main, il fait une erreur sur une case qui rend les calculs suivants faux. Il doit alors refaire tous les calculs et c'est fastidieux.

Frustré et passablement énervé, il se met alors à rêver à une feuille de tableur faisant le calcul automatiquement. Il pense alors à une calculatrice avec un écran large permettant l’affichage de plusieurs cases. En rentrant chez lui, il y repense et en parle à son colocataire qui se trouve être un programmeur. Celui-ci lui conseille plutôt de faire un logiciel sur ordinateur et non une calculatrice. VisiCalc est alors développé pour l’Apple II.

Quand le logiciel est montré en avant-première à des comptables, les réactions sont stupéfiantes. On raconte qu’un comptable se mit à trembler devant la démonstration en répétant : « Vous avez fait en quelques minutes ce que je fais en plusieurs jours ! ». Le succès est immédiat, les clients étant heureux de payer 100 $ pour ce logiciel, soit plus de 400€ si on prend en compte l'inflation.

Étant gourmand en mémoire, VisiCalc ne tourne pleinement que sur la version haut de gamme de l’Apple II qui a 32 Ko de RAM. D'ailleurs, heureusement que Woz a permis à son Apple II de pouvoir avoir plus de mémoire, sans cela VisiCalc n'aurait jamais vu le jour sur son ordinateur. 

Cela permet à Apple de vendre des dizaines de milliers de cette version aux entreprises. De nombreux clients ont acheté l’Apple II uniquement pour pouvoir utiliser VisiCalc. Michael Scott, alors CEO d’Apple, dira que sur les 130 000 Apple II vendus avant septembre 1980, sans doute plus de 25 000 l’ont été uniquement pour faire fonctionner le tableur. D'autant plus que, pendant un an, VisiCalc n'était disponible que sur l'Apple II.

ViciCalc fait comprendre à tout le monde que l'ordinateur personnel n'est pas qu'un simple gadget mais qu'il a une vraie utilité. Ce n'est plus un jouet, c'est un vrai outil de travail

Malheureusement pour lui, l'inventeur de VisiCalc n'a pas déposé l'idée du tableur. Rapidement, de nombreux logiciels similaires apparaissent sur le marché. Cela ne prend pas longtemps avant que la concurrence dépasse VisiCalc, comme Lotus 1-2-3 et plus tard Excel.

Jobs dira en 1990 lors d'une interview : VisiCalc est vraiment ce qui a propulsé Apple vers le succès, plus que tout autre événement. 

Naissance d'une industrie

VisiCalc n'est pas le seul logiciel qui rend légitime l'ordinateur personnel. En effet, associé à un logiciel de traitement de texte tel qu'Apple Writer, l'Apple II devient un vrai assistant numérique qui devient indispensable dans beaucoup d'entreprises. Certes, Apple Writer ne gère pas les minuscules et n'affiche que 40 caractères par ligne, mais cela ne l'empêche pas d'avoir un succès sans précédent.

La technologie avance à un rythme effréné. En juin 79, la première imprimante SilenType est annoncée. On parle déjà de la mort de la machine à écrire. En effet, à l'époque, pour créer un document dactylographié, il fallait acheter ou louer une machine à écrire où une seule erreur oblige à recommencer la page entière. Autre solution, écrire son texte à la main ou dicter son texte pour que quelqu'un le tape à votre place. Le logiciel de traitement de texte libère totalement le processus.

Même les auteurs de roman sont sous le charme par la grande liberté apporté par cette nouvelle technologie. Prenons l'exemple de Frank Herbert, l'auteur entre autres du génial Dune, qui dit à qui veut l'entendre que l'ordinateur personnel change l'écriture du roman pour toujours. Il fait l'éloge de la possibilité de modifier son texte à la volée sans rature, de pouvoir déplacer des paragraphes ou chapitres entiers, et adore la facilité avec laquelle il peut avoir sous la main plusieurs versions de ses romans. Il est tellement bouleversé par toutes ces possibilités qu’il en a fait un livre appelé Le Guide essentiel aux ordinateurs personnels : sans moi vous n’êtes rien.

L'industrie de l'ordinateur personnel est lancée. De nombreuses sociétés sont créées afin de développer des logiciels pour les ordinateurs (comme Electronic Arts qui est fondé par un ancien d'Apple) et d'autres font fortune grâce à la formidable croissance du secteur, comme MS.

Malgré cette croissance, Jobs n'oublie pas les clients de la première heure et va se battre pour eux et cela, toujours contre Michael Scott. Par exemple, il mettra en place un système de remplacement de l'Apple I par un Apple II avec une réduction. Déjà, il sent intuitivement qu'il faut bien traiter ses clients, par contre, Scott, lui, ne le conçoit pas. Autre élément de discorde : la garantie. Dans l'industrie électronique, la garantie est généralement de 90 jours. Jobs va insister, lourdement, afin que la garantie passe à 1 an pour coller aux garanties des produits grand publics. Scott refuse catégoriquement, Jobs s'entête et commence à pleurer, comme c'est son habitude. Scott décide de parler avec lui dehors et quand ils reviennent, Jobs l'a convaincu : la garantie de l'Apple II sera bien d'un an.

Ventes

L'Apple II commence à être vendu en juin 1977 pour 1298$. En 3 ans, 100 000 vont être vendu. Les revenus générés par la machine passe de 7,8 millions de $ en 1978 à 47 millions en 1979. En 1980, année de l'entrée en bourse historique, le chiffre d'affaires est de 118 millions de dollars.

L'Apple II est un ordinateur qui restera en vente étonnamment longtemps. Avec ses différents modèles qui sortiront au fur et à mesure des années, presque 6 millions d'Apple II seront vendus au total avant qu'il ne soit plus retiré des étales en 1993, soit 16 ans après sa sortie.

Apple vivra grâce aux revenus générés par l'Apple II pendant plus de 10 ans. Ce n'est qu'en 1988 que les revenus du Macintosh vont dépasser ceux de l'Apple II.