Transcription épisode 9

Ceci est la transcription de l’épisode 9 de Nolotec Podcast.

Jobs vs Apple

Comme nous avons pu le voir dans l'épisode précédent, John Sculley a réussi à déjouer le coup d'État de Steve Jobs. En l'écartant, John Sculley devient le seul maître à bord. Cependant, tout n'est pas rose. À peine a-t-il le temps de savourer sa victoire qu'il doit faire face à de multiples crises. 

La première est l'héritage de son combat avec Jobs. Celui-ci part avec pertes et fracas d'Apple en créant une nouvelle entreprise. Apple, bêtement, le poursuit en justice car le co-fondateur a débauché des personnes clés de l'entreprise. Le conseil d'administration a aussi peur d'avoir par mégarde créer un futur concurrent sérieux en mettant Jobs sur la touche. En effet, Steve Jobs a réussi à créer le fabuleux Macintosh. Ne risque-t-il pas de faire encore mieux de son côté ?

De son côté, Steve Jobs prend le monde à témoin et réussit à retourner la situation à son avantage en disant : « Il est difficile de croire qu’une entreprise pesant deux milliards de dollars avec plus de 4 300 employés ne pourrait pas entrer en compétition avec six personnes en jeans ». Steve Jobs ne perd jamais une occasion de faire du marketing. Il est très inhabituel qu'un ancien fondateur d'une société soit en conflit direct avec la société qu'il a créée. Cela fait désordre et frise le ridicule, d'autant plus que cela est public : cela aurait dû se régler à l’amiable entre le conseil d’administration et Jobs en secret. Apple fait tout le contraire : elle poursuit Jobs en justice en lui reprochant d'utiliser les technologies propriétaires d'Apple et pour avoir débauché des employés haut placés.

Les journaux se délectent de cette lutte fratricide et tout cela fait un mal considérable à l'image d'Apple.

Tout cela se termine en janvier 1986 quand les deux entreprises trouvent un terrain d'entente secret en dehors des tribunaux. Le résultat est le suivant : Steve Jobs accepte de ne pas utiliser les technologies d’Apple (comme le système d'exploitation). En cela, Apple fait sans doute une erreur : la société aurait peut-être bénéficié d'avoir d'autres ordinateurs compatibles. Cette demande aura aussi une conséquence sur le long terme. NeXT va faire un système d'exploitation basé sur UNIX au lieu de choisir le système Macintosh, détail qui aura son importance dix ans plus tard quand Apple, aux abois, doit acheter un nouveau système. Toute cette histoire fera l'objet de plusieurs épisodes...

En outre, il est demandé à NeXT, nom de la société créée par Jobs, de créer des ordinateurs suffisamment différent de ceux proposés par Apple, notamment au niveau de la performance afin qu'ils ne soient pas en concurrence directe avec les ordinateurs Apple.

Là aussi, cette demande est un peu bizarre : Apple demande à NeXT de faire des ordinateurs plus puissants qu'eux. Jobs en est d'ailleurs conscient et utilise cela à son avantage. Il transforme cette contrainte en argument marketing, disant à qui veut l'entendre : les ordinateurs de NeXT doivent être plus performants que ceux d’Apple car c’est la loi !

Pour vérifier que c'est le cas, Apple a un droit de regard sur les prototypes des ordinateurs NeXT afin de vérifier qu'aucune de leur technologie n'est utilisée. Enfin, Apple a le droit de restreindre la possibilité de NeXT d’embaucher des employés d’Apple. On ne peut s'empêcher de penser que tout cela est une grande perte de temps et d'image pour les deux parties, mais surtout pour Apple.

Crise et licenciements

Mais ce n'est que la première crise que doit gérer Sculley, la deuxième qui arrive en parallèle est aussi importante, sinon plus. L'année 1985 est catastrophique au niveau des ventes et Apple annonce des pertes sur un trimestre pour la première fois de son histoire. Pour gérer cela, Sculley est obligé de licencier en masse : 1200 personnes sont virées sans ménagement, soit un cinquième des personnes travaillant chez Apple. C'est d'une grande violence, de quoi faire passer le mercredi noir pour une plaisanterie. Si vous voulez en savoir plus sur le mercredi noir, je vous conseille écouter l'épisode 4 sur l'Apple III.

Sculley a beau être le seul maître à bord, il est tout de même un peu perdu sans celui qu'il considérait il n'y a pas si longtemps comme son meilleur ami. A son embauche, Jobs lui avait vendu un rêve : un duel Apple contre IBM, le futur de l'informatique à inventer, une industrie à créer. Au lieu de cela, il semble que les dés sont pipés et qu'IBM a déjà gagné. Et puis la crise est profonde, il ne va pas inventer le futur mais plus essayer de sauver les meubles. Il a du mal à comprendre des éléments purement techniques, comme le fait que l'Apple II, l'Apple III, le Lisa, le Mac et l'IBM-PC sont tous incompatibles. Il faut lui expliquer les différences entre les processeurs MOS 6502 de l'Apple II et le Motorola 68000 du Lisa et du Mac et en quoi ils ne peuvent pas faire fonctionner des applications programmer pour l'IBM-PC et son processeur Intel 8088.

Quand Sculley arrive chez Apple, toute l'industrie s'attend à un retournement de situation. La grande croissance du secteur ne peut pas continuer éternellement. Tout le monde se prépare à une crise de grande ampleur. Le secteur se professionnalise et chaque entreprise sélectionne un PDG en conséquence : Apple avec Sculley qui vient de chez Pepsi, Osborne avec Jaunich qui vient de l'agroalimentaire et Atari avec un ancien de chez Philip Morris.

La crise du jeu vidéo fait penser à toute l'industrie de l'ordinateur personnel qu'ils sont les prochains sur la liste. 

Le marché est submergé d'ordinateurs à bas prix comme ceux fait par Commodore ou Radio Shack et ceux proposés par Apple, avec leur prix comparativement exorbitant, semble totalement déconnectés du marché. Et ces mêmes ordinateurs abordables donnent une mauvaise image de l'ordinateur personnel car ils sont difficiles à utiliser et ne permettent, au final, de ne pas faire grand-chose.

La crise commence à faire ses premières victimes avec Atari et Osborne.

HyperCard

Outre la gestion de crise et des licenciements, Apple doit faire vivre la plateforme Mac et la faire évoluer. Je ne vais pas faire la liste ici de toutes les machines sorties, ce serait un peu rébarbatif. Si vous voulez en savoir plus, je vous conseille de lire mon livre évidemment qui entre plus en détails. Toujours est-il que de nouveaux Mac sortent, certains qui gèrent la couleur ou d'autres qui permettent d'ajouter des cartes d'extension. Cela est possible à cause du départ de Jobs. Les résolutions augmentent et la plateforme Mac devient la plateforme préférée pour la Publication Assistée par Ordinateur (aussi appelé PAO). Grâce à cela, en 1988 pour la première fois, les revenus du Macintosh dépassent ceux générés par l'Apple II.

Donc le travail de Sculley est aussi de faire vivre la plateforme Macintosh. Pour cela, il doit démontrer au public que la plateforme est différente, et meilleure, que la plateforme PC avec MS-DOS ou Windows. 

Néanmoins, outre la menace externe du concurrent Microsoft, Sculley doit se battre pour que ses meilleurs employés ne partent pas vers la concurrence ou pour créer leur propre entreprise. Beaucoup d'employés de la première heure d'Apple n'aiment pas trop la nouvelle direction. Ils sont nombreux à quitter le navire. C'est d'ailleurs ainsi que Steve Jobs s'était défendu quand Apple l'a attaqué en justice lors de son départ : il n'a débauché personne car ces employés qui l'a récupéré voulaient de toute façon démissionner. Parmi les départs, on peut remarquer ceux marquants de Andy Hertzfeld et Bill Burrell qui étaient des personnes importantes lors du développement du Macintosh.

L'autre personnalité incontournable du Macintosh est l'Apple Fellow Bill Atkinson, responsable de l'interface graphique du Lisa et du Mac, entre autres. Bill Atkinson est évidemment l'un des développeurs star d'Apple, voire même, on peut le dire, l'une de ses légendes. Malgré cela, il commence à être déçu par Apple. Son projet Magic Slate, une tablette avec stylet, vient d'être abandonné. De plus, son logiciel MacPaint n'est plus installé par défaut sur les derniers Macintosh. Naturellement, il hésite à présenter son dernier projet, HyperCard, à la direction. Il pense démissionner afin de créer sa propre entreprise et vendre son logiciel, comme l'ont fait de nombreux collègues.

En apprenant cela, Alan Kay prévient Sculley. Alan Kay qui vient de Xerox où il a travaillé sur le langage SmallTalk et sur l'Alto, est le conseiller spécial de John Sculley. De mauvais esprits le présentent comme le Raspoutine de Sculley. Toujours est-il qu'Alan Kay prévient de la volonté de départ d'Atkinson et conseille à Sculley de le retenir coûte que coûte. Quand Atkinson fait la démonstration d'HyperCard à Sculley, il est sous le charme. Sculley pense que c'est exactement le type de logiciel qu'il faut au Macintosh. Le patron d'Apple veut démontrer à tout le monde que lui aussi est un visionnaire, comme Jobs et Wozniak avant lui. Il cherche du coup toujours des idées innovantes afin de démontrer que lui aussi est capable de construire le futur de l'informatique. HyperCard correspond bien à ce qu'il recherche.

Bill Atkinson pose ses conditions : il veut que le logiciel sorte et soit disponible pour le plus grand nombre. Sculley le surprend quand il lui annonce qu'il veut que le logiciel soit installé par défaut avec chaque Mac neuf. Atkinson n'en demandait pas tant et accepte. Avec son équipe de programmeurs, il mettra 2 ans pour finaliser le logiciel.

HyperCard est l'exemple même du logiciel qui exploite toutes les possibilités du Mac. HyperCard aurait été impossible à créer sur une autre machine que le Mac. C'est donc le produit parfait pour montrer au monde entier à quel point le Mac est différent de toute la concurrence.

HyperCard est un logiciel de création très complet mais qui reste compliqué à expliquer. Le plus simple est de regarder la vidéo que je vous ai mis en description. Pour faire simple, HyperCard est un logiciel qui permet de créer du contenu. Il possède une base de données avec une interface graphique simple et modifiable associée à un langage de programmation-objet accessible, mais puissant (appelé HyperTalk). 

HyperCard permet de pratiquement tout faire sans savoir programmer. Le logiciel est utilisé par exemple en interne chez Apple pour faire rapidement des prototypes d'application. 

John Sculley annonce HyperCard en aout 1987. Il le décrit comme "le produit le plus important avec lequel j’ai été associé depuis que je suis chez Apple". Comme Steve Jobs en avait l'habitude, Sculley laisse penser qu'il est lui-même à l'origine de certaines idées centrales d'HyperCard, alors que ce n'est pas le cas.

Comme promis à Atkinson, HyperCard est installé gratuitement dans chaque nouveau Mac et c'est un succès immédiat. Non seulement des utilisateurs vont créer grâce à lui des logiciels sans à avoir à apprendre à programmer mais de toutes nouvelles utilisations apparaissent. Par exemple, HyperCard est utilisé par des enseignants pour faire des QCM, d'autres l'utilise pour faire des jeux et cela sans jamais à avoir à écrire une ligne de code. L'exemple le plus connu reste le jeu Myst entièrement créé avec HyperCard en exploitant à fond la gestion du CD-ROM.

Réorganisation

Sculley a donc pour rôle d'essayer de restructurer Apple. Avec Jobs qui n'est plus là pour saper son autorité, il a les coudés franches pour faire grandir la société. Pour Sculley, 1985 n’est pas une année de crise, mais une année où Apple doit murir. D'ailleurs, ne dit-on pas que toute crise est une opportunité ? Fini l'esprit hippie et les habitudes de la contre-culture de la côte Ouest, Sculley reprend les choses en main en instillant un peu de sérieux. Le CEO pense que, pour murir, Apple a besoin de plus de structure, de discipline et d’obéissance de la part des employés. Structure, discipline, obéissance. Je n'imagine même pas la tête des hippies chez Apple quand ils entendent cela. Structure, discipline, obéissance : on sent que la fête est finie et que les choses deviennent sérieuses. Le management va préférer aux petits génies créatifs sans diplômes des ingénieurs venant d’IBM ou d'HP qui ressemblent à des comptables (avec tout le respect que j'ai pour les comptables et leurs dégaines). Bref, on croise de plus en plus de mecs en costumes/cravate et moins de barbus en bermudas et sandales.

Sculley essaie de transformer l'entreprise à son image. Ce faisant, il essaie aussi d'effacer l'influence des débuts de Jobs. En effet, l'Apple des débuts était complètement à l'image de ses co-fondateurs : jeune, hippie, californien, libre d’esprit, inventif. Soit l'exact opposé de Sculley qui a 44 ans et est toujours habillé d'un costume trois pièces de luxe. Les origines de Sculley sont aussi aux antipodes de celles de Jobs et Wozniak : il vient d'un milieu aisé du Nord-Est américain, il a fait des études dans une école privée élitiste et il était un étudiant brillant. Là où Jobs et Wozniak étaient un peu des parias, Sculley était populaire et avait d’excellentes notes ; contraste saisissant avec Jobs et Wozniak qui n’ont aucun diplôme, à l'image d'ailleurs des premiers employés d’Apple. 

Outre son éducation, Sculley sait aussi naviguer. En effet, il épouse la belle-fille du patron de Pepsi, ce qui lui permet d'entrer dans la société. Même s’il divorce rapidement après avoir eu deux enfants, il garde de très bons rapports avec son beau-père (quand je vous disais qu'il savait naviguer...) qui lui donne la mission de gérer la partie brésilienne du groupe qui est en déficit. Sculley retourne brillamment la situation et transforme la division brésilienne en division la plus profitable de l’hémisphère sud. Il monte alors les échelons jusqu’à devenir le président de Pepsi en 1977. 

Bref, tout ça pour dire que Sculley n'a rien à voir avec Steve Jobs, il est même l'exact contraire à beaucoup de niveaux.

Sculley va donc réorganiser Apple et elle en a besoin. Les différentes équipes, que ce soit l'équipe Apple II, Apple III, Lisa ou encore Macintosh sont toujours en train de se tirer dans les pattes. Pour éviter ces guerres ouvertes, qui sont parfois publiques avec des publicités pour des produits différents de la même marque mais pour un même marché, Sculley décide de faire une organisation par fonction, alors que jusqu'à présent cela était par division. Dans une organisation par division, chaque division a son propre service financier, marketing, recherche et développement, sa propre usine, etc. Comme si l'entreprise était divisée en petites entreprises indépendantes. Cette organisation par division peut avoir des conséquences néfastes : des équipes différentes travaillant sur un projet similaire, des compagnes marketing qui ne sont pas en accord avec le style de l'entreprise ou encore des avancées techniques trouvées par une équipe qui ne seront pas partagées avec le reste de l'entreprise.

Avec la nouvelle structuration par fonction d'Apple, il y a une division pour le développement technique où tous les ingénieurs de la société travailleront ensemble, une division marketing pour l’ensemble des produits, etc. Le patron de chacune de ces grosses divisions est sous la coupe directe de Sculley. Afin de mettre en place sa vision, Sculley va s’appuyer sur sa garde rapprochée : Bill Campbell, Michael Spindler et Jean-Louis Gassée,.

Jean-Louis Gassée, à ne pas confondre avec Jean-Louis Gasset le footballeur et entraineur montpelliérain, était le créateur et le dirigeant d’Apple France. Il s’est occupé du lancement du Mac en France où le livre 1984 était méconnu. Il décide de changer la campagne marketing en utilisant le slogan qui restera celui d’Apple France pendant des années : « Il était temps qu’un capitaliste fasse une révolution ». La campagne est un véritable succès et restera dans les mémoires. Je vous ai mis en description l'affiche de la publicité. Apple France est la filiale européenne qui a le plus de succès et c'est naturellement que Gassée devient le patron d'Apple Europe. Là aussi son travail est remarqué, à tel point qu'il est appelé par Apple aux États-Unis afin d'être à la tête du développement des produits lors de la restructuration.

Gassée a beaucoup de qualité mais il est français et cela lui sera souvent reproché. Il est brillant, charmant, cultivé, élégant, mais aussi méprisant et hautain envers ceux qu’il juge moins compétent que lui. Même s'ils sont nombreux chez Apple à se comporter de la sorte, il est facile pour ses ennemis de mettre en avant que son comportement est dû à sa nationalité. Les américains adorent pointer du doigt les français quand ça les arrange. Ils ont tendance à oublier un peu facilement que c'est grâce à la France qu'ils ne sont plus une colonie anglaise...

Microsoft

L'autre crise que doit gérer Sculley est la relation d'Apple avec Microsoft. Historiquement, Microsoft est un allié précieux : c'est l'un des éditeurs de logiciel qui a le plus aidé les plateformes Apple, que ce soit en fournissant des logiciels ou en développant aussi le langage Basic qui est un élément fondamental du succès de l'Apple II. 

Mais les temps changent comme dit Bob Dylan (ou MC Solaar suivant vos références). En fournissant le système d'exploitation de l'IBM-PC, MS-DOS, Microsoft devient un concurrent direct. D'autant plus que le succès de l'IBM-PC, et ses clones, est fulgurant. En 1982, il s'est vendu autant d'Apple II que d'IBM-PC et clones. L'année d'après, en 1983, ce n'est pas du tout pareil : il s'est vendu 3 fois moins d'Apple II que d'IBM-PC et clones. Business Week fait d'ailleurs à ce moment-là sa couverture avec écrit en gros : l'ordinateur personnel, le gagnant est IBM.

Malgré cela, la surprise a été grande quand l'entreprise de Bill Gates annonce le logiciel Windows quelque temps seulement après avoir reçu un prototype de Macintosh. La sidération est totale en Californie : la ressemblance entre Windows et le système Mac est évidente. Les ingénieurs d'Apple sont vent debout contre Microsoft, ils pensent qu'ils ont été totalement volés.

Mais ce n'est pas si simple, l'origine de cette crise commence bien des années auparavant quand Steve Jobs cherchait des éditeurs tiers pour son Macintosh, afin de ne pas répéter l'erreur du Lisa. Il prend contact avec Microsoft pour leur parler du Macintosh afin qu'ils développent des applications pour la sortie de la machine. Pour cela, Steve Jobs leur prête un prototype du Macintosh que Bill Gates surnommera SAND pour Steve’s Amazing New Device (la fantastique nouvelle machine de Steve). Le surnom vient aussi de l'usine qui fabriquera le Macintosh qui, selon Jobs, transformera le sable (avec sa silice qui est l'élément principal pour fabriquer des processeurs) en Macintosh. En contrepartie, Microsoft accepte de développer les applications de bureautique dont a besoin le Mac pour séduire le marché des entreprises. C’est ainsi que Word et Multiplan (ancêtre d’Excel) sortiront sous Mac. 

Bill Gates adore le Mac et est séduit tout de suite par l'interface graphique. A son crédit, il est l'un des rares à voir l'intérêt du Macintosh et de son interface graphique. Alors que les professionnels de l'informatique ont mis du temps à admettre de l'intérêt de l'interface graphique, Bill Gates, dès le départ, se rend compte que c'est un élément indispensable à la démocratisation de l'informatique. Si, comme il le dit, il veut un ordinateur sur chaque bureau et dans chaque maison, ce ne sera possible qu'avec l'interface graphique.

Cependant, le Macintosh montre, par contraste, à quel point le système MS-DOS que Microsoft développe pour l'IBM-PC est archaïque. Pour éviter d'être dépassé technologiquement, Bill Gates décide de lancer le développement d'une interface graphique pour IBM-PC appelé au départ Interface Manager puis Windows.

Quand Jobs apprend cela, il menace Bill Gates devant les développeurs du Mac : Tu nous as tout volé. Je t'ai fait confiance, et maintenant tu nous pilles ! Bill Gates répond avec calme "Eh bien, Steve, je pense qu'il y a plus d'une façon de voir les choses. Je pense que c'est plutôt comme si nous avions tous les deux un voisin riche nommé Xerox et que je m'étais introduit chez lui pour voler le téléviseur et que j'avais découvert que tu l'avais déjà volé."

En parallèle, Bill Gates pousse Apple à rendre la plateforme Mac compatible avec la concurrence. Il propose de vendre des licences du système Macintosh, un peu comme fait Microsoft avec son MS-DOS disponibles sur beaucoup de machines. Sculley est séduit à l'idée de faire du Mac le standard de l'informatique contrairement à Jean-Louis Gassée, alors patron du Macintosh. Gassée pense qu'il y a plus de marge à se faire sur des ordinateurs que sur du logiciel. De plus, il n'a aucune confiance en Bill Gates et Microsoft.

L'idée de rentre la plateforme Mac ouverte sur les autres systèmes est définitivement abandonné fin 1985. C'est alors que Bill Gates passe à l'offensive avec son système Windows qui sort le 15 novembre 1985. Microsoft n'est pas la seule entreprise à s'inspirer du Macintosh. C'est le cas aussi par exemple d'Atari avec son Atari ST qui sort en avril 1985 ou de Tandy avec son DeskMate qui ajoute une interface graphique à son TRS-80 en novembre 1984.

Ainsi Microsoft n'est pas le seul à essayer de copier le Macintosh. De plus, l'accueil fait à Windows est plutôt froid. Windows ne fait pas se lever les foules, c'est le moins que l'on puisse dire. Bien qu'il gère la couleur, contrairement à l'affichage en noir et blanc du Macintosh, le reste laisse à désirer comme par exemple le fait que les fenêtres ne peuvent pas se chevaucher. 

Même si la plupart des ingénieurs d'Apple regardent Windows avec dédain, comme Gassée, ce n'est pas le cas de Sculley qui est sidéré. Il voit en Windows une copie malhonnête du Mac. Pour preuve, il montre la barre de menu qui pour lui est identique, jusqu'au sous-menu appelé Special. De même, à l'image du Macintosh, Windows est livré avec les logiciels Write et Paint qui rappellent évidement MacWrite et MacPaint. Sculley veut alors attaquer Microsoft en justice.

Cependant, Bill Gates n'est pas né de la dernière pluie et s'est préparé à cette attaque. Premièrement, il indique que Windows était en développement avant même que Microsoft reçoive le prototype du Macintosh. Deuxièmement, Microsoft a négocié de son côté un accord avec Xerox directement qui leur permet d'emprunter un certain nombre d'éléments de l'interface graphique du Xerox Star, sorti avant le Macintosh et le Lisa.

Sur de son fait, Bill Gates appelle Sculley en le menaçant : « Si tu attaques Microsoft, nous arrêterons tout développement d’applications pour le Mac ». De plus, au final, aucun n'a intérêt à aller devant les tribunaux. La poursuite en justice de Jobs a laissé des séquelles chez Apple. De son côté, Microsoft s'apprête à entrer en bourse et c'est donc le plus mauvais moment pour ce genre de mauvaise publicité.

Autre élément extrêmement important est que l'accord sur l'utilisation du langage Basic arrive à son terme. En effet, à la création de l'Apple II, Woz intègre à son ordinateur sa propre version de Basic. Cependant, la version la plus populaire sur la plateforme est celle fournie par Microsoft, surnommé Applesoft Basic. Cette version est disponible sur l'Apple II ainsi que le Macintosh. Apple et Microsoft ont un accord d'utilisation pour une durée de 8 ans. Or, cet accord prend fin en septembre 1985. Impossible pour Apple de perdre cette version indispensable de Basic, d'autant plus quand la majorité des revenus de la société sont liés à l'Apple II. Le patron de Microsoft, sachant que son Windows était très proche du système Mac, a peur d'être attaqué par Apple. De ce fait, Bill Gates a un avantage énorme sur Apple. Étant l’homme d’affaires de talent que l’on connaît, il l’utilisera au maximum.

Comment ? Tout simplement en faisant des demandes extraordinaires qu'il sait qu'Apple ne peut refuser. Il demande à ce que la version Basic d'Apple pour le Mac, appelé MacBasic, soit abandonnée pour ne pas concurrencer la version de Microsoft (c'est Jobs qui avait demandé le lancement de MacBasic, anticipant la trop grande influence de Microsoft sur Apple). Ensuite, Bill Gates demande une licence perpétuelle pour utiliser les éléments graphiques du Macintosh pour ses logiciels. Sculley pensait donner la possibilité à Microsoft de développer des logiciels avec une interface graphique. Mais cela peut être aussi interprété comme le droit de créer un système d'exploitation avec interface graphique : le système d'exploitation n'est-il pas un logiciel ?

En contrepartie, Microsoft accepte de développer des applications pour le Mac et promet de ne pas sortir Excel sur des plateformes concurrentes pendant deux ans. Sculley accepte. Comme le dit Andy Hertzfeld, c’est sans doute le pire accord jamais négocié dans l’histoire d’Apple. L’accord est signé le 22 novembre 1985, soit une semaine après la sortie de Windows.

Cet accord viendra hanter Sculley et Apple pendant plus de 10 ans.

Concurrence rude

En voyant la première version de Windows, la panique se calme un peu chez Apple. Il faut dire qu'elle n'est pas fameuse et beaucoup au sein de la société pense que ce n'est pas une menace sérieuse. Les ingénieurs pensent qu'ils sont bien meilleurs que ceux de chez Microsoft et les prennent un peu de haut. De plus, Windows 1.0 est un échec retentissant. Tout le monde voit bien que le système n'est pas abouti et ne peut pas être comparé au système Mac beaucoup plus évolué et élégant.

Comme à son habitude, Microsoft travaille d'arrache-pied et fait évoluer constamment ses logiciels de version en version. Cette fois-ci, Microsoft n'a plus peur que Windows ressemble au Mac : Windows 2.0 a des fenêtres qui se chevauchent, le système est multitâche et propose un langage de programmation évolué facilitant le développement d'applications.

De plus, l'accord entre Apple et Microsoft arrivant à son terme, Word et Excel sont cette fois-ci disponibles sous Windows. Non seulement ils sont disponibles, mais leurs versions sont supérieures à celle du Mac.

Et ce n’est pas tout : de nombreuses entreprises commencent à développer des applications pour la plateforme Windows comme Aldus, Corel et d’autres.

La ressemblance de Windows 2 avec le système Mac choque Sculley. Il pense qu'il y a suffisamment de similitudes pour pouvoir attaquer Microsoft en justice. De plus, il est persuadé que le contrat signé avec la société de Redmond le protège car il croit qu'il n'est valable que pour la version 1 de Windows.

Chez Apple, tout le monde est confiant. Bien que Windows 2 est bien meilleur que ce qu'ils avaient anticipé, il est bien en dessous de leur système Mac qu'ils jugent supérieur. Et puis, Windows est tellement similaire au Mac qu'il leur parait évident que Microsoft sera condamné pour ce qu'ils considèrent comme un plagiat. Malheureusement, Apple a l'habitude de sous-estimer Microsoft. Et s'il y a bien une chose à éviter, c'est de sous-estimer Bill Gates. Peu de personnes sont aussi impitoyables et obstinés.

En 1988, Microsoft continue de faire évoluer Windows qui devient non seulement plus rapide que le système Mac mais il est aussi compatible avec plus de logiciels populaires. La plateforme Windows commence à être plus intéressante que celle du Mac pour les utilisateurs et les développeurs. D'autant plus si on prend en compte le coût du matériel qui est deux à trois fois moins cher que chez Apple.

C'en est trop pour Apple qui attaque Microsoft le 17 mars 1988 pour violation de copyright concernant l'interface graphique. Apple ne s'arrête pas là et attaque aussi HP pour son interface New Wave disponible sur Windows 2. D'après la société de Cupertino, 189 éléments visuels seraient violés par Windows 2. Apple vient de déclencher l'arme nucléaire contre Microsoft.

Microsoft n'est pas pris au dépourvu et se sont préparés à cette éventualité. Comme la meilleure défense c'est l'attaque, Microsoft attaque à son tour Apple. Néanmoins, la réputation de la société de Bill Gates en prend un coup. Pour le public, le méchant dans l'histoire est évidemment Microsoft.

Les développeurs qui ont des logiciels tournant sous Windows sont terrifiés : tout leur travail risque d'être rendu illégal du jour au lendemain. Windows peut mourir sans crier gare. Le PDG de Borland fait la comparaison de mauvais goût suivante : « C’est comme se réveiller et se rendre compte que son partenaire pourrait avoir le SIDA ». C'est certes de mauvais goût mais cela traduit néanmoins bien la panique des développeurs.

La peur est de courte durée car une partie du jugement est rendue le 25 juillet 1989 qui prend le parti de Microsoft. Pour faire simple, le juge considère que les éléments visuels sont des idées qui ne peuvent pas être protégées par le copyright.

Malgré ce revers, Jean-Louis Gassée semble confiant. Il pense que, de toute façon, Microsoft est incapable de proposer un système aussi bon et facile à utiliser que le système Mac.

La réputation de Sculley commence à se ternir. Le public, lors de cette affaire, apprend avec surprise l'accord signé en 1985 et ne comprend pas comment Sculley a pu se faire avoir de la sorte. Comment Sculley a pu donner à un concurrent direct son accord pour utiliser ses technologies les plus importantes ?

Toute cette affaire est loin d'être terminée. Cela rendra les relations très tendues entre Microsoft et Apple et cela jusqu'en 1997 quand elle sera réglée, avec l'aide de Steve Jobs. Mais c'est une autre histoire pour un autre épisode...