Transcription épisode 10

Ceci est la transcription de l’épisode 10 de Nolotec Podcast.

Knowledge Navigator

Comme nous l'avons vu dans l'épisode précédent avec le logiciel HyperCard, John Sculley essaie de passer pour un visionnaire. Pour le comprendre, il faut se rendre compte qu'il souffre certainement d'un complexe d'infériorité vis-à-vis de Steve Jobs. Il est en admiration devant lui. Cela rappelle aussi un peu le complexe d'infériorité dont souffrait Steve Jobs lui-même par rapport à Steve Wozniak. La création du Macintosh a été la démonstration pour Jobs qu'il était, lui aussi, capable de créer un ordinateur révolutionnaire. De la même manière, John Sculley veut créer un produit équivalent à l'Apple II et au Macintosh pour lui aussi entrer dans la cour des visionnaires.

C'est dans ce but qu'il écrit un livre appelé Odyssey: Pepsi to Apple. À la fin du livre, il fait quelques prédictions sur le futur de l'informatique. Pour cela, il décrit alors ce qu’il appelle le « Knowledge Navigator » (navigateur de la connaissance) : une sorte de tablette permettant d’accéder à un large réseau d’informations connectées entre elles et utilisant des intelligences artificielles (aussi appelés agents logiciels) pour aider à la recherche d’informations. Afin d’inspirer « l’excellence », comme il dit, chez Apple, Sculley offre un exemplaire de son livre à chacun de ses employés (aux frais de l’entreprise, évidemment…).

Peut-être que, comme beaucoup de livres de personnalités, il n'a pas été écrit directement par Sculley. Une chose est sûre : sa description du Knowledge Navigator est très proche du Dynabook de son conseiller spécial Alan Kay. C'est d'ailleurs ce même Alan Kay qui lui conseille d'aller faire un tour dans les laboratoires de recherche avec lui comme guide. Kay lui fait comprendre que pour arriver sur le marché, toute innovation en informatique met 15 à 20 ans à être développé. Ainsi, si Sculley veut voir l'informatique de demain, il faut qu'il voit ce qui se passe dans les laboratoires.

Le fruit de cette réflexion est conceptualisé dans une vidéo appelée Knowledge Navigator sortie en octobre 1987. Anticipant les capacités de calcul des ordinateurs dans vingt ans grâce à la loi de Moore, la vidéo montre l’utilisation classique d’un ordinateur en 2007.

Je rappelle que la loi de Moore est une loi empirique qui permet de prédire la puissance de calcul des ordinateurs. C'est Gordon Moore, l'un des trois co-fondateurs d'Intel, qui l'a décrit en 1965. Il remarque que la complexité des microprocesseurs double tous les ans à coût constant. Au final, on gardera comme description de la loi de Moore que la capacité de calcul des ordinateurs double tous les 2 ans. Cette règle est restée étonnamment vraie pendant plus de 30 ans. Il est donc assez facile d'anticiper les capacités de calcul des ordinateurs.

Dans la vidéo Knowledge Navigator, on y voit un enseignant utilisait une tablette avec une intelligence artificielle qui apparait sous la forme d'un majordome. L'interaction se fait sous la forme de discussion, l'enseignant demandant des informations à l'intelligence artificielle qui réagit en conséquence. 

Ce qui est saisissant dans cette vidéo est que l'on reconnait assez facilement des technologies que l'on utilise aujourd'hui. On retrouve ainsi une connexion à Internet sans fil, une intelligence artificielle proche de Siri, un logiciel de vidéoconférence similaire à FaceTime, un ordinateur avec écran tactile ressemblant à un iPad, le contrôle d’un ordinateur par la voix et les gestes, etc.

La vidéo a un grand retentissement au niveau des média. Le magazine Fortune ira même jusqu’à mettre Sculley en couverture avec un modèle en bois de la tablette « Knowledge Navigator » à la main. 

Oui, un modèle en bois. Pourquoi en bois ? Tout simplement parce que le Knowledge Navigator n'existe pas. Tout cela est du vent. C'est un concept mais aucune technologie montrée dans la vidéo n'existe en l'état. En effet, en 1987, il n'existe pas de connexion sans fil comme le Wi-Fi ou le Bluetooth. La qualité des réseaux n'est pas assez bonne pour permettre un flux vidéo tel que le permet FaceTime. Et je ne parle même pas de la reconnaissance vocale ou de geste, et encore moins de l'intelligence artificielle. Or, en voyant les vidéos, les média pensent que le Knowledge Navigator est un vrai produit qui sortira bientôt.

Malgré tout, la vidéo positionne Apple comme une société innovante qui va construire l'informatique de demain. Elle permet aussi de donner un objectif à long terme pour les ingénieurs d'Apple.

Par contre, cela aura des conséquences fâcheuses au niveau des clients d'Apple. En voyant cette vidéo, tout le monde veut pouvoir acheter cette fameuse tablette. Or, elle n'existe pas et c'est la déception. La réalité de l'informatique de la fin des années 80 est bien moins glamour que le Knowledge Navigator. Cela me fait un peu penser à la manie des constructeurs automobiles, notamment français, qui sortaient chaque année des concepts car toutes plus évoluées les unes que les autres. Cela faisait envie, jusqu'au moment où on se rend compte que tout cela est du pipeau et qu'au lieu du super concept car que l'on a vu au mondial de l'auto, quand on va en concession, on se retrouve avec une Renault 21 Nevada ou une Peugeot 309 GRD.

Bref, l'effet négatif de cette vidéo est qu'en comparaison, la ligne de produits d'Apple semble être bien fade.

Macintosh Portable

Mais il n'y a pas que le Knowledge Navigator dans la vie ! En attendant le futur, il faut bien construire le présent. Or, la concurrence propose depuis un moment des ordinateurs portables. Il est temps qu'Apple fasse de même. En septembre 1989 est annoncé un nouvel ordinateur : le Macintosh Portable, premier portable d'Apple. Le concept d'un Macintosh avec batterie que l'on peut amener partout avec soi n'est pas une nouveauté. Le Macintosh de départ, pensé par Jef Raskin, devait déjà être portable. Vous pouvez écouter à ce sujet l'épisode 6.

Même si cette idée avait été abandonnée, en 1983 (donc un an avant la sortie du Macintosh), Steve Jobs donne pour objectif de faire un Macintosh de la taille d'un livre pour une sortie en 1986. Évidemment, cela est un brin optimiste.

Jobs échoue à convaincre le conseil d'administration de faire un Mac portable en avril 1985 quand il s'intéresse aux écrans plats. Le projet est repris par Gassée fin 1986 avec comme nom de code : projet Laguna (qui est aussi le nom d'une super concept car de Renault et d'une médiocre voiture...). Le but de ce projet est de faire un Mac SE mais portable.

Le Macintosh Portable est un tour de force technologique mais sans doute est-il sorti trop tôt. Malgré tous les efforts des ingénieurs, on ne peut s'empêcher de pointer du doigt les problèmes de cet ordinateur. Pour un ordinateur portable, il est très lourd (plus de 7kg) et imposant. Peut-on dire d’un ordinateur qui fait 7 kg qu’il est portable ? Le terme le plus approprié serait plutôt transportable. De plus, il coûte plus du double que le Mac SE avec un prix de départ de 6500$ et cela sans disque dur. Ensuite, au niveau du design, il faut admettre qu'il n'est pas réussi. Il ressemble à une grosse valise beige. Afin de le rendre un peu plus sexy, il apparaît en couverture du magazine MacUser aux côtés d’une mannequin en maillot de bain se baignant dans une piscine… Je vous ai mis l'image en description si cela vous intéresse.

Cependant, on peut aussi souligner les éléments positifs de la machine. Elle possède un clavier de taille normal, ce qui est rare pour un ordinateur portable qui, à l'époque, avaient généralement un clavier plus petit, sans touches numériques par exemple. La trackball est intéressante car elle peut être mise de chaque côté du clavier gérant ainsi les gauchers et droitiers. Le Macintosh Portable a aussi des hauts parleurs. L'écran lui aussi vaut le coup d'œil : il est de type matrice active (chaque pixel est contrôlé par un transistor), l'écran a un affichage clair et fin, bien que monochrome, sans effet fantôme comme sur les matrices passives. De plus, il est visible quelque soit l'angle de vision. Bien que plat et portable, l'écran a une excellente résolution de 640x400. L'écran est d'ailleurs bien meilleur que celui des Mac classique car il est plus grand avec une meilleure résolution. Sharp a d'ailleurs été obligé de créer une usine exprès, ce qui a posé des problèmes de production.

Au niveau de la batterie, Apple choisi une batterie plomb-acide, similaire à ce que l'on trouve dans une voiture thermique, au lieu de nickel-cadmium comme le reste du marché et cela afin d'avoir une batterie qui dure plus longtemps. Grâce à cela, le Macintosh Portable a une autonomie de plus de 10 heures en utilisation normale et un mois en veille, ce qui est phénoménal, même aujourd'hui. Mais en contre-partie, on se retrouve avec une batterie très grosse et lourde. Alors que le Mac Portable fait plus de 7 kg, la concurrence est généralement en dessous des 4,5 kg.

A cause de cela, il est impossible de l'amener dans en avion car il ne rentre pas sur la tablette. De plus, l'écran n'étant pas rétro éclairé, il est difficile à lire sans une lumière directe, un peu comme pour la GameBoy original. À ce propos, une version avec rétro éclairage arrivera un an et demi plus tard en février 1991 (soit quelques mois avant la présentation des PowerBook).

Malgré son lot de soucis, le Macintosh Portable est une merveille technologique. On sent que les ingénieurs d'Apple s'y sont donné à cœur joie en essayant de tout mettre dans ce portable. Il est d'une incroyable complexité à tous les niveaux, que ce soit la miniaturisation, l'écran, la batterie, la gestion de la mémoire, la gestion de l’énergie et j'en passe. Il est sans doute sorti trop tôt, la technologie n’étant pas encore prête. Malgré son échec relatif, Apple ne baisse pas les bras et continue de travailler dans cette même direction.

Mais l'échec a un coût : Jean-Louis Gassée est poussé à la démission un an après la sortie du Mac Portable en septembre 1990. Outre les ventes décevantes du portable, sa démission est expliquée par d'autres facteurs. D'abord, il a un certain nombre d'ennemis au sein d'Apple qui attendaient le moindre faux pas de sa part. De plus, on lui reproche pas mal de chose comme son entêtement de garder des marges monstrueuses, au-delà de 50%, soit plus du double de la concurrence. En conséquence, les produits Apple sont bien plus chers que le reste du marché et la société ne peut pas proposer avec de telles marges un Mac abordable.

Mais Gassée a des arguments pour son entêtement à éviter de vendre un Mac pas cher. Il pense que cela risque de cannibaliser les ventes des ordinateurs à forte marge et qu'il donne une mauvaise image d'Apple.

Autre élément qui lui ait reproché, c'est sa gestion dispendieuse. En effet, plus de 500 millions de dollars sont dépensés en moyenne par an dans la recherche et le développement. Or, peu de choses en ressortent, la direction reproche à Gassée de dépenser des sommes folles dans des projets de grande ampleur qui au final n'amène à rien de concret.

Enfin, la dernière chose reprochée à Jean-Louis Gassée est son refus de vendre des licences du système Macintosh à d'autres sociétés afin de concurrencer Microsoft. Il pense qu'il y a plus d'argent à se faire en vendant du matériel plutôt que de vendre des licences pour le logiciel. 

Bill Gates, devenu l’homme le plus riche de l’histoire de l’humanité, est là pour le contredire. Jean-Louis Gassée paye toutes ses prises de position. Michael Spindler prend sa place en tant que numéro 2.

Sculley profite de cette réorganisation pour se nommer CTO en plus de CEO. Le CTO est le Chief Technology Officer donc le patron de toute la partie technologique de l'entreprise. Les ingénieurs d’Apple en rient encore. Sculley n’a aucune formation scientifique ou technique. Il est plus connu pour être un expert de la gestion et du marketing mais il essaie de se réinventer en spécialiste de technologie de pointe.

Andy Hertzfeld, développeur sur le Macintosh, dit d’ailleurs : « C’est un frimeur ». Gassée dira : « Il avait un besoin irrépressible de mettre son nom sur un produit ».

L'année 1990 est une année charnière pour Apple. Le marché semble saturé : Apple n'arrive plus à faire augmenter son chiffre d'affaires comme avant. Entre 1987 et 1989, le chiffre d'affaires a augmenté de plus de deux milliards de dollars mais en 1990, il n’augmente pratiquement pas (à peine 10 millions de dollars ). La stratégie de livrer uniquement des ordinateurs chers à très forte marge commence à devenir un échec, et Sculley s’en rend compte, d'où le départ de Gassée.

Mais ce n'est pas tout. Microsoft sort Windows 3.0 qui amène son lot de nouveautés. De nombreux ordinateurs sont vendus avec Windows installé par défaut et le marché se rend compte que Windows est maintenant suffisamment bon pour le commun des mortels. La différence de prix entre les Mac et les PC devient bien trop grande et considérée comme injustifiée. C'est ainsi qu'Apple perd la première place de constructeur d'ordinateurs.

Avec Gassée mis de côté, l'idée de vendre des licences pour le système Mac revient au goût du jour. Mais cette fois-ci, c'est Michael Spindler qui s'y oppose, il pense que c'est trop tard et il a sans doute raison. Sculley va aller à l'encontre de la philosophie de Gassée et veut vendre des ordinateurs d'entrée de gamme afin de gagner des parts de marché.

C'est pour cela que le Macintosh Classic est créé. C’est le premier Mac à être vendu pour moins de 1 000 $ et à vraiment remplir le cahier des charges du Mac original : un ordinateur pour tout le monde pour 1 000 $. Il aura fallu attendre six ans.

Mac SE/30

J'en profite pour faire un petit hors sujet. Vous avez remarqué que j'évite de lister tous les ordinateurs et leurs différentes versions car cela serait trop rébarbatif, d'autant plus en audio. Cependant, je vais plus en détails sur les différents Mac sortis dans mon livre, si le cœur vous en dit. Néanmoins, permettez-moi de parler du Mac SE/30. 

Il y a deux raisons à cela. Premièrement parce qu'il est souvent considéré comme le meilleur Mac de tous les temps tellement il était puissant par rapport à ce qu'il se faisait à l'époque. Il remplace le Mac SE avec un processeur plus rapide, le Motorola 68030. Malgré son écran monochrome, il est tellement puissant qu'on peut lui brancher un deuxième moniteur en couleur. De plus, il est possible de monter jusqu'à 128Mo de RAM, ce qui est une quantité de RAM obscène à l'époque (il est livré avec 1Mo de RAM : imaginer pouvoir mettre 128 fois plus de RAM dans votre ordinateur).

Dans la pop culture, il apparait sur le bureau de Jerry Seinfeld dans la série Seinfeld, c'est d'ailleurs le premier Mac à apparaitre dans la série.

Quand on dit à Jean-Louis Gassée que son prix de 4400$ est trop élevé, il répond avec acidité : nous ne voulons pas castrer nos ordinateurs pour les rendre bon marché. Nous faisons des Hondas, nous ne faisons pas des Yugos. Yugo étant une marque yougoslave de voiture connue pour être particulièrement rustique, pour être poli.

Mais principalement, j'aborde le Mac SE/30 pour une toute autre raison. Il n'aurait pas dû s'appeler le Mac SE/30. En effet, les Mac qui récupèrent le processeur Motorola 68030 ont ajouté à leur nom la lettre x. Comme le Mac II qui avec le 68030 devient le Mac IIx. Ainsi, si l'on suit cette convention, le Mac SE avec le 68030 devrait s'appeler le Mac SEx. Cependant, bien qu'Apple soit une entreprise californienne, elle ne reste pas moins une entreprise américaine qui subit le puritanisme ambiant. Donc pas de Mac SEx. Dommage. 

PowerBook

L'échec du Mac Portable aurait pu refroidir la direction d'Apple. Cependant, au fur et à mesure des années, le marché des portables devient de plus en plus important. Il est donc nécessaire qu'Apple arrive à faire un Mac portable digne de ce nom. Pour y arriver, Apple embauche à tour de bras et décide de travailler avec Sony, marque reconnue pour son design de qualité.

L'objectif est simple : essayer de faire comme le Mac Portable mais en gommant tous ses défauts. Il faut qu'il soit plus léger, plus fin, mieux en tout point. Et il faut qu'il soit sexy : pour cela Apple fait confiance aux designers japonais.

Il y a un coup à faire : à l'époque, les portables ne sont pas de très bonne machine. Non seulement ils sont la plupart du temps lourd, moche et avec une autonomie dérisoire, mais leurs performances laissent aussi à désirer.

Le nouveau Mac portable, qui aura pour nom PowerBook, doit donc être un ordinateur moins lourd que la concurrence (un objectif de moins de 4kg est annoncé) tout en étant aussi performant qu'un Mac de bureau. Ah, et il faut en plus qu'il soit beau. Bref, le projet est ambitieux. 

Au départ, trois versions sont prévues. La première est la version la plus petite dessinée par Sony. Son nom de code est Asahi. Au niveau du matériel, Asahi sera très proche du Mac Portable sortie deux ans plus tôt. Il sortira sous le nom de PowerBook 100. Un deuxième version au nom de code Tim LC (pour low cost) doit être la version la moins chère : c'est le PowerBook 140. Enfin, la troisième version appelée Tim doit être la machine la plus performante : faite place au PowerBook 170.

Les PowerBook surprennent par leur design. Sony a fait un travail qui frise la perfection. Les PowerBook ne ressemblent à aucun autre ordinateur portable. C'est le premier portable qui laisse de la place pour la paume des mains. En effet, la plupart des portables de l'époque ont un clavier qui arrive au bord de la machine, forçant l'utilisateur à avoir la paume des mains sur le bureau et les doigts sur le clavier. Ce qui est surprenant, c'est que généralement il y a de l'espace entre le clavier et l'écran, espace donc perdu. Un exemple frappant est le Compaq LTE, sorti en 1989 qui illustre bien ce problème, je vous ai mis un lien en description pour voir à quoi cela ressemble. Ce n'est pas le cas pour le PowerBook. Cet espace pour les mains deviendra le standard par la suite pour tous les portables. Ensuite, entre les mains se trouve une trackball qui fait office de souris, le PowerBook permet de l'utiliser sans que les mains quittent le clavier.

Cela peut paraître paradoxal mais cela est nouveau. Certains portables à l'époque n'ont pas de système de pointage intégré et ceux qui en proposent ont une solution bien particulière. Par exemple, Compaq permet de connecter une trackball mais derrière l'écran, oui, vous avez bien entendu, la trackball est derrière l'écran car il n'y a de place ailleurs et parce que les connectiques sont situés derrière l'écran. D'autres machines permettent de connecter une trackball sur le côté du clavier mais à ce moment-là cela ressort, ce n'est pas intégré.

Le PowerBook a tous les avantages : il est plus léger, moins épais, plus beau, plus facile à utiliser et surtout beaucoup plus confortable. Au niveau logiciel, Apple a fait du bon travail. Le système a été retravaillé afin de moins consommer d'énergie. Par exemple, quand le PowerBook fonctionne sur batterie, le processeur est ralenti permettant une meilleure autonomie.

L'échec du Mac Portable est encore à l'esprit lors du lancement des PowerBook. C'est pourquoi Sculley veut éviter de prendre des risques et fait une campagne marketing à minima, craignant un autre échec. Le budget marketing est ridicule, à peine un million de dollars quand d'autres campagnes ont un budget dix fois supérieur.

Une seule publicité sera produite par Chiat/Day. Elle montre l'immense basketteur, tant par le talent que par sa taille, Kareem Abdul-Jabbar assis inconfortablement dans un avion. Il sort alors son PowerBook et commence à travailler dessus. La voix off dit alors : « Au moins, ses mains sont confortables ».

Comme on peut l'imaginer, avec tous ses avantages sur la concurrence, le PowerBook est un succès immédiat. Cependant, la version 100 ne se vend pas très bien, à tel point qu'Apple baissera son prix de 1000$ afin d'écouler les stocks. Ce sont les versions 140 et 170 qui sont les blockbuster et cela à la grande surprise d'Apple. En effet, l'entreprise pensait vendre beaucoup plus de version abordable 100 que les versions plus chères 140 et 170. Du coup, les 140 et 170 sont en rupture de stock. Même avec ces problèmes, les PowerBook vont générer plus d'un milliard de dollars de chiffre d'affaires pour 400 000 machines vendues.

Cela repositionne Apple sur le marché des ordinateurs : l'entreprise de Cupertino devient le premier vendeur d'ordinateurs portables. Le PowerBook devient une icône que l'on voit par la suite partout dans les séries TV et au cinéma. D'ailleurs, les scénaristes d'Hollywood l'adorent, leur permettant d'écrire partout où ils vont.

Depuis les PowerBook, les ordinateurs portables deviendront une part importante des revenus d’Apple, devant les ordinateurs de bureau et cela jusqu’à l’arrivée de l’iPod.

Arrivée de Jony Ive

S'il y a une leçon à tirer du succès des PowerBook, c'est qu'un design de qualité peut faire la différence entre un produit lambda et un succès sans précédent. Apple en a conscience et commence à changer sa façon de travailler. Jusqu'à présent, Apple ne faisait pas le design en interne, préférant travailler avec des sociétés externes comme Frog Design. Néanmoins, Frog Design commence à devenir de plus en plus gourmand lors des négociations de contrat, ce qui pousse Apple à créer sa propre équipe de designers.

Le but au départ est d'économiser de l'argent, car faire le design en interne est moins cher que d'engager une société de renom. Pour diriger cette équipe, Apple choisit Bob Brunner et non, ce n'est pas la copie bas de gamme de Hulk. Il se donne pour mission d'engager de jeunes designers prometteurs dans le but de faire des produits qui se démarquent de la concurrence. En effet, depuis ses premiers produits comme l'Apple II et surtout le Macintosh, Apple est connu pour avoir un design soigné et différent.

Bob Brunner veut continuer dans cette voie. Avant de travailler pour Apple, Brunner était consultant, ce qui l'a amené à travailler avec beaucoup de designers différents. Il va ainsi contacter les meilleurs afin de les convaincre de venir travailler pour Apple. Il va préférer embaucher de jeunes designers talentueux et aux idées originales. Il faut aussi qu'ils aient l'habitude de travailler rapidement et efficacement. 

Le jeune Jonathan Ive correspond totalement à ce profil : il vient de sortir de son école de design et travaille dans une société de consultant en design, Tangerine. Même si Brunner a échoué deux fois à le recruter, il ne s'annonce pas vaincu. Pour le convaincre, il va signer un contrat avec son agence de consultant afin de faire travailler Ive sur un projet spécialement conçu pour le débaucher : c'est le projet Juggernaut.

Pour éviter que la routine s'installe chez Apple, Brunner crée le projet Juggernaut qui consiste à faire des design d'ordinateur du futur avec des formes originales et cela sans limite de temps afin de laisser parler la créativité des designers. Avec le succès du PowerBook et l'arrivée imminente du Newton (qui fera l'objet d'un épisode dédié bientôt), Apple comprend que le futur de l'informatique sera portable et personnel. Brunner cherche donc à anticiper et cherche des designs prêts à être utilisé rapidement au cas où la direction souhaite sortir un produit équivalent.

C'est ainsi que pour le projet Juggernaut, les designers doivent concevoir des appareils photo numériques, des lecteurs de musique numérique, des PDA et des tablettes avec leur stylet. De son côté, Ive travaille sur une tablette, une tablette avec un clavier et deux ordinateurs portables. Cela tombe bien : Jony Ive commence un peu à s'ennuyer chez Tangerine. Il y designe des toilettes, des brosses à dents ou encore un lavabo. Et c'est ce dernier qui est la goutte d'eau qui fait déborder le bidet : quand il livre à son client un WC, un bidet et un lavabo, ceux-ci sont refusés. Le client donne comme raison que les produits sont trop chers à produire et sont trop modernes. Ainsi, le projet Juggernaut vient à point nommé pour Jony Ive qui est prêt à changer d'air.

D'autant plus que Brunner adore son travail. Il lui propose, pour la troisième fois, de venir travailler chez Apple. Ive hésite car toute sa vie est à Londres et partir à l'autre bout du monde n'est pas une décision à prendre à la légère. Cependant, il a adoré les défis proposés par Juggernaut. Il ne se voit pas designer des bidets toute sa carrière, Apple lui permet de participer à la création de produits importants qui formeront le futur de la technologie.

Brunner sent qu'Ive hésite et l'invite, avec sa femme, en Californie pour leur montrer la douce vie sur la côté Ouest. Ive est conquis et accepte de travailler en temps qu'employé d'Apple. Il a 25 ans. Ce n'est évidemment par la dernière fois qu'on parlera de Jony Ive...

Star Trek

La montée en puissance de Microsoft commence à faire peur à tout le monde. C'est le cas de Novell, société spécialisée dans la mise en réseau des ordinateurs. Novell pense que Microsoft va chercher à les concurrencer en sortant un système d'exploitation pour les entreprises gérant la mise en réseau de clients et de serveurs. La rumeur s'avère exacte : Microsoft travailler depuis des années sur ce qui deviendra Windows NT qui sort en 1993.

Novell sentant qu'elle ne peut pas s'opposer à Microsoft seule cherche à trouver un allié et propose à Apple de porter le System 7 sur les puces Intel. Idée qui traine d'ailleurs dans les tiroirs d'Apple depuis la création du Macintosh. Mais en 1992, le contexte est radicalement différent. Windows 3.1 démontre le danger qu'est Microsoft.

Le projet est nommé Star Trek car cela permet au Mac d'aller là où aucun Mac n'est jamais allé... Rappelons que le Mac jusqu'à ce moment ne fonctionne que sur les processeurs Motorola de la famille 68000.

Or, la majorité du marché fonctionne avec des processeurs Intel de type x86. Le projet Star Trek permettrait au Mac d'être compatible avec une grande partie du marché. Voyant le succès de Microsoft, et les coûts et problèmes associés au matériel comme la gestion du stock, Sculley a l'idée de transformer Apple en société produisant et vendant du logiciel. Le projet Star Trek serait la première étape vers ce but.

Le projet commence en février 1992 et est soutenu par le CEO d'Intel, Andy Grove. Lui aussi voit d'un mauvais œil la montée en puissance de Microsoft et sa main mise sur le marché du PC. Il pense qu'une alternative ne ferait pas de mal. Cependant, le portage d'un système d'un processeur à un autre est un travail complexe. D'autant plus quand on se rend compte que la majorité du code du System 7 est écrit en assembleur pour des questions de performance.

Ainsi, il faut réécrire pratiquement l'intégralité du système pour le rendre compatible avec les puces Intel, ce qui est une tâche titanesque. Malgré les difficultés, 10 mois plus tard en décembre 1992, les ingénieurs livrent une démo qui surprend la direction par sa qualité. Les ingénieurs prennent alors des vacances bien méritées mais ont une mauvaise surprise à leur retour. La direction a changé d'avis et Star Trek est annulé afin de porter le System 7 sur les puces PowerPC. Je parlerai de ce changement dans un prochain épisode. 

Il faudra attendre plus de 10 ans, en 2005, pour que le Mac soit compatible avec des processeurs Intel. 

Comme on a pu le voir, Apple prend l'habitude de travailler avec d'autres sociétés. En effet, c'est vers la fin de l'année 1992 que Sculley commence à avoir la certitude qu'Apple ne peut pas résister à Microsoft seule. Il pense que la société doit s'allier avec une autre entreprise, quitte à fusionner. Sculley commence aussi à se lasser de son travaille de patron d'Apple. Tout porte à croire qu'il est fatigué. Il n'arrête pas de prédire que le marché du Mac va se rétrécir inexorablement et qu'il faut qu'Apple créé un nouveau type de produit. C'est dans cet esprit que sont conçus des produits comme le Newton ou le Pippin dont on parlera dans de prochains épisodes.

Seulement, créer de tout nouveaux produits et plateformes est une tâche ardue qui demande énormément de ressources. Cela explique la volonté de Sculley de s'allier avec des partenaires comme par exemple Sun qui essaye de fusionner avec Apple depuis des années. 

Apple pense aussi éventuellement à fusionner avec Kodak. Cependant, les deux société ayant des cultures d'entreprise tellement différente, cela ne se fera pas. D'autres sociétés sont approchées comme AT&T. Bref, tout est évalué. John Sculley est tel un jeune homme en fin de soirée qui cherche absolument à ne pas rentrer seul, quitte à choisir n'importe qui comme partenaire.

Le 18 juin 1993 : Sculley démissionne et est remplacé par Michael Spindler (alors président, COO et membre du conseil d'administration). Comme Jobs en son temps, il garde le titre de chairman et le conseil d'administration lui donne comme rôle celui de chercher de nouvelles opportunités pour Apple. Mais comme Jobs, il trouve que ce rôle purement protocolaire n'a aucun intérêt et s'éloigne d'Apple quand il déménage sur la cote Est en octobre 1993.

Les raisons des échecs de Sculley

Que peut-on retenir du passage de John Sculley à la tête d'Apple ? Si l'on regarde les chiffres, c'est plutôt flatteur. En 10 ans, il a fait passé le chiffre d'affaires de 800 millions de dollars à plus de 8 milliards ce qui semble impressionnant. Cependant, si l'on regarde cela de plus près, est-ce toujours le cas ? Apple était sur un marché extrêmement porteur avec une croissance rarement vu dans l'histoire. Tout le monde voulait acheter un ordinateur dans les années 80. Cette croissance et ce flux constant d'argent a tendance à cacher de nombreux problèmes d'une entreprise. Problèmes qui remontent à la surface une fois la croissance calmée. À ce moment-là, difficile de les cacher sous le tapis.

John Sculley avait tendance à hésiter longtemps, à ne pas vouloir trancher. Et une fois qu'il prend une décision, il est souvent trop tard. Sous la pression, il semble paniquer. Par exemple, quand les ventes de Mac sont décevantes, il va créer de nombreux modèles pour essayer de toucher tous les publics à tel point que la ligne de produits devient incompréhensible tellement il y a de variations.

De même, il tardera à rendre le Mac abordable, préférant suivre la doctrine suivant laquelle il faut une grosse marge sur chaque machine. Quand il se résout à le faire, il est trop tard : Microsoft avec Windows a eu le temps de devenir la plateforme informatique par défaut.

Un autre reproche qu'on peut lui faire est sa mauvaise gestion de la production et du stock. Ce qui est bizarre pour un homme justement connu pour sa science de la chaine logistique chez Pepsi. Sous son règne, de nombreux produits sont en rupture de stock pendant plusieurs mois pendant que d'autres produits de ne vendent pas et font déborder les stocks. Jusqu'à devoir les enterrer dans des décharges dans le désert.

Il lui est aussi reproché sa très mauvaise gestion du problème Microsoft. Il semble s'être fait rouler dans la farine par Bill Gates avec la signature du droit d'utilisation des éléments graphiques. Et après cette erreur manifeste, Sculley n'a pas su redresser la barre. Par exemple, quel aurait été le monde informatique si Apple avait vendu des licences Mac à partir de 1985 ?

Sculley a été surpassé par les forces combinées de Microsoft, IBM et Intel.

Alors que cela devait être son point fort, beaucoup sont ceux qui pointent sa mauvaise gestion ou plutôt son manque de gestion. De nombreux de projets sont en développement, coutant une fortune (le tout monte à plusieurs milliards de dollars) et cela sans arriver au final à des produits. Des projets sont laissés sans supervision pendant des années jusqu'au moment où ils sont considérés comme trop chers et annuler. John Sculley aura tendance à rêver du futur sans jamais vraiment le construire. En effet, c'est à cette époque qu'Apple sortira le plus de vidéos, de prototypes et de concepts sur le futur de l'informatique. 

Cependant, il fait tôt le bon constat. Le Mac est une plateforme qui va finir par s'effondrer sous les coups de Microsoft et Intel. Il va alors chercher à créer un produit qui pourra prendre la suite du Mac, comme le Mac a pris la suite de l'Apple II. Mais ni le Mac TV, le Newton ou encore le Pippin ne sera le succès escompté.

Certains défendent Sculley et ils ont de bons arguments. Ils disent qu'il a réussi à garder et attiré de nombreux talents. Le Knowledge Navigator a eu un effet galvanisant sur ses troupes en donnant un objectif précis pour l'ordinateur du futur. Son constat sur la fin du Mac est juste. Quand il essaie de trouver un produit de remplacement, là aussi il a raison. D'ailleurs, Steve Jobs aura la même réflexion quand il revient à la tête d'Apple en 1997. L'iPhone et l'iPad ne sont-ils pas les vrais descendants du Dynabook et du Knowledge Navigator ?

Sur sa fin de carrière chez Apple, on a senti chez Sculley une vraie chute de motivation. Rappelons qu'au départ il comptait rester que 5 ans à la tête d'Apple. L'accélération du marché à la fin des années 80 le pousse à rester. Seul le projet Newton semble l'intéresser au détriment de tout le reste. Or, il y a beaucoup de choses à faire mais cela ne l'ennuit. Il préfère déblatérer devant la presse sur le futur de l'informatique ou encore participer à la campagne présidentielle de Bill Clinton.

Pour terminer la page John Sculley, je vous propose de vous faire part de ses prédictions faites en 1987 dans le journal Playboy (je vous avais dit que Playboy était un journal intéressant dans les années 80...). Évidemment, il est facile de se focaliser sur celles qui prêtent à sourire comme les soviétiques marcheront sur Mars avant 2007 ou encore que le marché boursier japonais dépassera le marché boursier américain avant 2007. Sculley n'avait donc pas prévu l'effondrement de l'URSS ni la crise asiatique de 1997, soit.

Par contre, il fait d'autres prévisions plus pertinentes. Parmi elles, on peut citer :

- les supports à disque optique vont révolutionner la façon dont les ordinateurs personnels sont utilisés. Et ce sera le cas. Le CD va permettre une augmentation spectaculaire ce tout ce qu'on appelait multimedia, comme la musique, la vidéo et les jeux vidéo.

- Ensuite, Sculley dit : "Je pense que nous ne reconnaîtrons plus les ordinateurs dans deux ou trois ans, car ils nous permettront d'accéder à des informations, qu'elles soient picturales, graphiques, sonores ou textuelles, que nous n'aurions même pas pu imaginer il y a quelques années". Là il s'emballe un peu mais si on regarde un ordinateur de 1987 et un autre de 1997, le contraste est saisissant. L'un ne peut afficher que des images, et encore dans des résolutions faibles, pas de vidéo, ne peut pas stocker beaucoup d'informations et ne se connecte pas en réseau, encore moins sur Internet. Pour celui de 1997, c'est tout le contraire.

- Sculley ensuite ajoute : l'apparence de l'ordinateur va changer. Il ne ressemblera même plus à la forme à laquelle nous sommes habitués. Nous le porterons au poignet ou dans nos poches. Il utilisera des signaux radio pour accéder à l'information ou pour renvoyer des informations à un réseau. C'est sans doute là où il est le plus pertinent. Nous avons l'Apple Watch et l'iPhone qui correspondent totalement à ce qu'il décrit, d'autant plus avec leur connexion 5G.

- Et Sculley termine par cette phrase digne de Nostradamus : il sera difficile de dire où finit le téléphone et où commence l'ordinateur. Là aussi, il a raison. Non seulement tous les téléphones aujourd'hui sont des ordinateurs, mais tout est un ordinateur : de la montre, à votre carte bleue, à votre sonnette, à votre aspirateur en passant par votre voiture. Et par son travail, John Sculley y a participé.