Transcription épisode 11

Ceci est la transcription de l’épisode 11 de Nolotec Podcast.

Les débuts

Les débuts du projet Newton remontent à un seul homme : Steve Sakoman. Il est un passionné de l'informatique portable. D'ailleurs, avant d'être embauché par Apple, il a travaillé sur un des premiers ordinateurs portable, le HP 110. C'est pour ses compétences spécifiques qu'il est recruté par Steve Jobs : il veut que Sakoman fasse le premier Mac Portable. Comme nous l'avons vu dans l'épisode précédent, le projet a été dans un premier temps abandonné. 

Déçu de ne pas pouvoir travailler sur un portable comme prévu, Sakoman n'a pas d'autre choix que de travailler sur la création de Mac de bureau comme le Mac Plus, SE et le Mac II. Cependant, il s'ennuie et il pense démissionner afin de créer sa propre entreprise pour concevoir des ordinateurs portables de prochaine génération, avec un écran tactile et plat. Apprenant cela, Jean-Louis Gassée lui propose de faire un projet juste pour lui. Il reconnait son talent particulier et fait tout pour le garder. Sakoman négocie brillamment et obtient presque tout ce qu'il demande : il sera à la tête du projet avec le contrôle total, c'est-à-dire sans manager au-dessus de lui et sans des personnes du marketing qui lui diront quoi faire. Le rêve. De plus, il veut garder un esprit un peu start-up, pour cela il demande à ce que son équipe soit dans un bâtiment physiquement séparé du reste d'Apple. Enfin, il veut que l'ordinateur sur lequel il va travailler ne soit pas obligé d'être compatible avec d'autres ordinateurs, comme le Mac ou l'Apple II, afin d'avoir le moins de contrainte technique possible et lui permettant ainsi de partir d'une vraie page blanche.

Une fois cela réglé, il faut trouver un nom au projet. Sakoman choisit le nom Newton inspiré par le tout premier logo d'Apple. De plus, Isaac Newton a révolutionné la façon de penser le monde, comme Sakoman veut que son ordinateur change la façon d'utiliser l'informatique.

Une équipe est créée autour du visionnaire, citons par exemple Steve Capps, développeur du Finder du Mac entre autre.

L'idée de départ est un ordinateur portable et léger pour le même prix que le Macintosh, soit 2500 $. Il doit servir à organiser ses idées autour des technologies comme les réseaux sans fil et la reconnaissance de caractères.

Au fur et à mesure du temps, le concept se précise. Sakoman s'arrête sur l'idée d'une tablette tactile avec une surface d'écriture équivalente à une feuille A4. L'interaction se faisant avec un stylet, elle est possible grâce à un logiciel de reconnaissance de caractères acheté en URSS appelé Calligrapher. L'histoire de cet achat est d'ailleurs digne des meilleurs films d'espionnage de la guerre froide, du genre James Bond mais sans le smoking, l'alcoolisme et les jeunes femmes lascives. Afin de tester les différentes interfaces, les ingénieurs font des maquettes en utilisant le logiciel HyperCard.

Libres de faire ce qu'ils veulent, les ingénieurs se font plaisir et ajoutent toutes les fonctionnalités possibles et inimaginables au prototype. Sans managers pour les encadrer, ils font un peu n'importe quoi : si une idée leur parait intéressante, elle enrichit automatiquement le projet. Qui va les en empêcher ? Au bout d'un moment, Sakoman prend peur et pense que le Newton risque d'être invendable. En effet, le projet devient tellement complexe et ambitieux qu'avec son disque dur, son écran plat utilisant la toute dernière technologie LCD à matrice active, ses ports infrarouges pour le transfert de données et j'en passe, le prototype coûte plus de 6000 $.

Du côté logiciel, c'est la pagaille. Ils sont tous très instables, y compris le système d'exploitation. De plus, le développement prend beaucoup plus de temps que prévu, ce qui est logique quand les outils de développement sont eux-mêmes en train d'être écrits et changent constamment. Bref, rien ne fonctionne correctement. Mais surtout le problème vient du système de reconnaissance de caractères : sans lui, toute l'interaction avec l'utilisateur est à revoir. Il est primordial qu'il fonctionne parfaitement. Or ce n'est pas le cas, la reconnaissance de caractère est trop lente, prend trop de ressources et pour couronner le tout fonctionne mal.

Compétition interne

Non seulement c'est la pagaille au sein du projet Newton mais c'est aussi le désordre complet au sein d'Apple. D'autant plus que le projet Newton est jalousé par tout le monde. Les développeurs du Mac commencent à reprocher au Newton de s'approprier de précieuses ressources, de couter une fortune et cela sans générer de revenu. Alors que le Mac a besoin de développeurs et d'ingénieurs, d'autant plus que c'est lui qui permet de payer le salaire de tout le monde.

Le secret qui entoure le projet Newton commence à passablement énerver le reste de l'entreprise. La paranoïa est de mise, d'autant plus que la plupart des gens, même en interne, ne savent pas vraiment ce qu'est le Newton. Tout ce qu'ils voient est que le projet devient de plus en plus gros, leur empêchant d'embaucher pour leur propre besoin. Quand les équipes du Mac doivent se serrer la ceinture, ils voient l'équipe Newton dépenser sans compter. Sakoman doit alors se justifier et défendre son projet de plus en plus souvent. D'autant plus que Gassée ne peut plus vraiment le couvrir, étant donné que lui aussi commence à être sur la sellette à cause de l'échec du Mac Portable.

Quand Gassée est remercié, Sakoman sait qu'il a perdu son seul allié au sein de la direction d'Apple et décide de partir. 

General Magic

Ainsi, le projet Newton est orphelin de son papa, ce qui le met en danger. D'autant plus quand, en interne, un rival apparaît. Un groupe appelé Advanced Technologies Group s'est formé et a pour objectif de faire une sorte de PDA appelé Pocket Crystal. De plus, cette entité regroupe les plus grosses stars d'Apple. Citons par exemple Bill Atkinson, Marc Porat, Andy Hertzfeld et Susan Kare.

Mandaté par Sculley pour faire le ménage parmi les projets dispendieux de Gassée, Larry Tesler rend visite aux projets Newton et Pocket Crystal. Il est très impressionné par le prototype du Newton et décide de prendre la tête du projet.

En parallèle, Sculley sait qu'il faut un produit pour prendre la suite du Macintosh. Depuis la sortie de son livre, il pense que le futur de l'informatique passe par une tablette. Il a formalisé cela avec son Knowledge Navigator. Quand Larry Tesler lui montre le projet Newton, il est emballé et décide de protéger le projet. Il pense que le Newton peut être l'incarnation de son Knowledge Navigator.

Pour motiver les troupes, il donne des directives : il faut que le Newton sorte en avril 1993 pour 1500 $. L'équipe a donc deux ans pour passer du prototype à un produit final. C'est ambitieux.

Pour protéger le Newton, Sculley décide d'abandonner le projet Pocket Crystal. L'équipe Advanced Technologies Group forme alors une entreprise appelée General Magic pour réaliser sa vision. Apple est un des actionnaires et Sculley fait parti du conseil d'administration.

3 Modèles

Avec Tesler à sa tête, le projet Newton avance. Il est prévu trois versions qui se différencient principalement par leur taille. Un petit, de la taille d'un gros smartphone, appelé Junior. Une version de taille moyenne, grande comme le premier iPad et enfin une version de grande taille, surnommée Senior. Les vétérans du groupe préfèrent Senior alors que les nouveaux venus, comme Michael Tchao, sont plus conquis par Junior. Peu de personnes défendent la version de taille intermédiaire.

Tchao est le premier défenseur du Junior. Il a travaillé sur le Mac Portable et ne veut pas répéter les mêmes erreurs. Il est persuadé qu'il faut une version petite et pas chère qui aura une chance de séduire le grand public.

De son côté, Tesler veut prouver que le concept fonctionne avec Senior, permettant de bien meilleures performances. Il pense qu'il sera alors plus facile de faire une version plus petite et moins puissante une fois la version haut de gamme sortie. Tesler a peur qu'une version petite soit trop limitée dans ses capacités techniques et de ce fait ait du mal à démontrer que le concept fonctionne.

Tchao arrive à convaincre Sculley de se focaliser sur Junior et non Senior. Sculley donne même une contrainte physique : le Newton doit pouvoir tenir dans la poche de sa veste. Cela parait simple mais c'est tellement difficile pour l'équipe de designers qu'ils pensent sérieusement emprunter la veste de Sculley afin d'agrandir sa poche de quelques millimètres...

ARM

Au niveau matériel, il évolue constamment. L'équipe se rend compte que le processeur Hobbit, fournit par AT&T, n'est tout compte fait par la meilleure solution. Il est buggé, lent et AT&T demande des millions supplémentaires pour le finaliser. Tesler choisit alors un autre processeur, l'ARM 610, venant d'une petite entreprise anglaise appelée Acorn. Par la suite, impressionné par leur travail, Apple investit 2,5 millions de dollars afin d'avoir une part de 43% de la nouvelle société ARM. Ce processeur a une caractéristique intéressante, c'est un processeur de type RISC, ce qui le différencie de la plupart des autres processeurs du marché comme le Motorola 68000 et les Intel x86. Ceux-ci sont de type CISC (Complex Instruction Set Computer), c'est-à-dire qu'ils intègrent un très grand nombre d'instructions. Au contraire, les processeurs RISC (Reduced Instruction-Set Computer) possèdent un jeu d'instruction limité. Pour faire simple, cette limitation leur permet de fonctionner plus rapidement et d'être moins gourmand en énergie, les rendant parfait pour une utilisation mobile.

Le travail qui reste à faire est colossal. À un an de la sortie supposée, rien n'est finalisé. Apple essaie de créer un tout nouveau type de produit fonctionnant sur un processeur RISC inconnu, faisant tourner un logiciel de reconnaissance de caractères révolutionnaire et tout cela utilisant un tout nouveau langage de programmation appelé Ralph. Difficile alors en cas de problème de savoir si le responsable est le système d'exploitation, le logiciel, le processeur ou le langage de programmation.

PDA

Toutes ces nouveautés font que le développement du projet coûte extrêmement cher car il faut tout inventer. Sculley en a conscience et essaie de trouver des partenaires. Contrairement au Macintosh, il veut ouvrir le Newton dès le départ. Idéalement, il faudrait que le Newton soit produit sous différentes marques. Une des raisons pour cela est qu'Apple n'a pas l'habitude de fabriquer des produits de masse, au contraire de Sony par exemple. C'est donc naturellement que Sculley cherche à faire produire le Newton dans des usines d'entreprises partenaire ayant les compétences recherchées. Il prend contact avec Sony et son rival de toujours Matsushita (connu sous la marque Panasonic en Europe) mais c'est Sharp qui est choisi. En effet, la société est le plus grand producteur d’écrans LCD au monde, elle fournit par exemple l’écran de la Game Boy de Nintendo et celui du Mac Portable. En contrepartie, Sharp aura le droit de produire sa propre version, appelée ExpertPad. 

Durant une keynote le 7 janvier 1992, Sculley annonce au monde un nouveau type d'ordinateur qui sera la convergence numérique de l'ordinateur, de la communication et du contenu. Il le nomme le PDA : Personal Digital Assistant, assistant personnel numérique. Il annonce que ce nouveau type de produit formera un marché de 3 000 milliards de dollars dans les 10 ans, rien que ça.

Avec le succès phénoménal du PowerBook, la voix de Sculley est d'autant plus écoutée, surtout quand il parle du domaine de la portabilité. Cependant, il s'est mal exprimé. Il voulait dire que le marché total serait de 3 000 milliards de dollars (cela comprend aussi la création de contenu, les applications tierces, les abonnements de télécommunication, etc), mais le public et les médias comprennent que c'est le marché des PDA lui-même qui sera de 3 000 milliards de dollars. La concurrence prend note et se prépare.

Sculley compte annoncer le Newton 4 mois plus tard, seulement rien n'est prêt. L'appareil est encore au stade de prototype et il n'a même pas de nom. Ils hésitent avec BrainAmplifier, KnowPad, PowerEnabler ou encore ZippyPad. Du côté du système d'exploitation et des logiciels, là aussi rien n'est prêt. Ils sont très instables et remplis de bug. À tel point que Steve Capps en compte plusieurs milliers et décide de tout passer en version alpha FC (pour Feature Complete) pour interdire l'ajout de fonctionnalités. Et quand bien même : ce n'est pas suffisant. Alors, de nombreuses fonctionnalités sont abandonnées, parmi elle le langage de programmation révolutionnaire Ralph. Or, certains logiciels étaient programmés à l'aide de ce langage. Ils doivent donc être totalement réécrits ajoutant du retard au projet.

Annonce

Le Newton est annoncé le 29 mai 1992. Sculley dit : « Ce n’est pas un produit ou une technologie, c’est une révolution ». Venant de l'entreprise qui a révolutionné deux fois l'informatique avec l'Apple II et le Macintosh, la presse est prête à le croire. Cependant, cela fait 8 ans depuis la sortie du Mac original. Et nombreux sont ceux qui se demandent si Apple peut encore innover, d'autant plus depuis le départ de Jobs. Cela ne vous rappelle rien ?

La présentation commence mal. Le Newton refuse de s'allumer. Michael Tchao se lance alors sur scène dans une improvisation sur le thème de la technologie mobile et fait une démonstration sur un Mac émulant le Newton. Heureusement, un autre prototype est amené sur scène qui, lui, fonctionne : c'est le soulagement pour toute l'équipe. D'autant plus qu'au final, la démonstration s'est bien passée et que la presse est conquise. A tel point que tout le monde attend avec impatience de pouvoir acheter le Newton. 

Malheureusement, ce ne sera pas pour tout de suite. Ce que ne sait pas la presse, c'est que le Newton n'est absolument pas prêt. Ce n'est qu'un prototype auquel il manque une brouette de fonctionnalités et qui en plus plante tout le temps. La pression est grande sur l'équipe de développement, d'autant plus que la concurrence, elle aussi impressionnée par la présentation, va mettre les bouchées doubles pour rattraper son retard.

Ainsi, avant même la sortie du Newton, de nombreuses sociétés s'apprêtent à le concurrencer. C'est le cas d'AT&T, Casio, Microsoft, Tandy, Sony, Motorola et même General Magic.

Pratiquement toute l'interface du Newton tourne autour de la reconnaissance de l'écriture. Or, elle ne fonctionne pas. L'annonce de Sculley que le Newton doit sortir en avril 1993 ainsi que la présentation mettent une pression hors norme sur l'équipe qui commence à craquer. Un membre de l'équipe tombe en dépression car il travaille trop et n'a pas le temps de voir sa femme avec qui il vient de se marier. Poussé à bout, il se suicide. Comme on peut l'imaginer, cela marque toute l'équipe de développement. Une semaine après la triste nouvelle, un ingénieur, en dépression lui aussi, agresse son colocataire et finit en prison. Sculley est obligé d'embaucher à la hâte des psychologues afin d'aider ses employés.

On pense bien que cela n'aide pas au développement de la machine. Le Newton n'a pas de date de sortie officielle mais en interne la date du 29 juillet 1993 est prévue. La presse commence à s'impatienter : cela fait plus d'un an que le Newton est annoncé et depuis aucune nouvelle de la part d'Apple. Certains présentent le Newton comme un "vaporware", c'est-à-dire un produit qui apparait comme fantastique, trop beau pour être vrai, régulièrement repoussé et qui au final ne sort jamais. En juin 1993, Casio et Tandy battent Apple et sortent leurs PDA.

Ajoutez à cela que l'équipe Newton repousse une nouvelle fois la date de sortie. Le conseil d'administration en a assez et demande des comptes à Sculley. Même s'il se défend d'avoir passé beaucoup de temps à s'occuper du Newton (il dit y avoir passé moins de 2 % de son temps, d'ailleurs, comme fait-il pour évaluer cela ? Bref...), c'est trop tard. Le conseil d'administration le lâche, d'autant plus que certains doutent de sa motivation. Il semble ne plus vraiment vouloir diriger Apple. À ce propos, alors qu'il négociait une éventuelle fusion avec AT&T, il est approché par IBM pour devenir son CEO. Cela énerve le conseil d'administration au plus haut point. Il lui est reproché aussi de passer trop de temps à aider Bill Clinton dans sa campagne présidentielle. Et puis, il va falloir aussi annoncer une perte historique de plus de 180 millions de dollars pour le dernier trimestre. Tout cela pousse le conseil d'administration à remercier John Sculley.

Mais avant cela, il doit faire le lancement du Newton qui est enfin disponible à la vente en aout 1993. Quand il le présente sur scène, Sculley apparait fatigué : il sait que son histoire avec Apple est finie. La présentation impressionne. Le Newton est montré en train d'envoyer un fax et de se connecter à Internet. Il peut même envoyer des mails, et tout cela sans fil ! Cependant, ce qui est retenu c'est sa reconnaissance de caractères qui semble enfin fonctionner. Tellement que cela ressemble à de la magie. En effet, en écrivant à la main avec le stylet la phrase « Déjeuner avec Bob demain », des actions s'enchainent sur le Newton. Premièrement, la phrase se transforme en texte comme si elle avait été tapée sur un clavier. Ensuite, un événement correspondant est créé dans l’agenda le lendemain à midi. Enfin, la personne appelée Bob est associée au rendez-vous en cherchant dans le dernier Bob accédé dans la liste des contacts. C'est fantastique : le public est subjugué. Le problème, c’est que tout le monde croit que cela fonctionne ainsi tout le temps. La réalité est très différente : la reconnaissance d’écriture ne fonctionne pas bien. Apple annonce qu’elle s’améliore avec le temps, car le Newton apprend à reconnaître l’écriture particulière de son propriétaire. Cela n’empêche pas le PDA d’être couvert de ridicule. Une bande dessinée populaire en fera d’ailleurs le thème central de certaines de ses pages où l'on voit le personnage écrire sur son Newton, pour avoir son PDA qui ne reconnait pas son écriture. Si vous voulez voir la bande dessinée, je vous ai mis un lien en description.

Sortie

Après plus de six ans de développement, le Newton sort avec un prix de 900 $. Afin de le sortir dans les temps, le Newton a été amputé d'un certain nombre de fonctionnalités. Par exemple, NewtonMail (le gestionnaire de mail par défaut du Newton) n’est opérationnel que 5 mois après la sortie. De même, les cartes de modem et de pager ne sont pas disponibles à la sortie. Comme c’était le cas pour le Mac, l’équipe responsable du Newton est complètement exténuée et victime de burn-out. Cela rend difficile la tâche d'améliorer le produit au fur et à mesure.

Cependant, les débuts sont encourageants. Le Newton MessagePad, c'est le nom de la première version, gagne de nombreux prix d'innovations. De plus, il s'en vend 50 000 lors des 10 premières semaines de vente, ce qui est un bon début. Malheureusement, les ventes se tassent rapidement. Il devient clair que le Newton n'est pas ce produit miracle capable de prendre la suite du Mac. En tout cas, pas tout de suite.

Les raisons de son échec sont multiples. Outre les problèmes liés à la reconnaissance de caractères, son prix est jugé trop élevé. De plus, le Newton manque de logiciels tiers. Enfin, commercialisé comme un appareil de communication, le fait que les cartes de modem et de pages ne soient pas disponibles à la sortie ne l'aide pas. Le Newton devient alors synonyme de gadget hors de prix qui ne fonctionne pas bien. Cette réputation le poursuivra malheureusement longtemps.

Evolution

Heureusement, Apple ne se repose pas sur ses lauriers et essaie de continuer le développement du Newton avec de nouvelles versions. Malheureusement, elles arrivent lentement à cause de l'équipe totalement éreintée. 9 mois après la première version, les MessagePad 100 et 110 arrivent en magasin. La version 100 est le Newton original mais avec le système mis à jour avec la version du 110. Le 110 lui est tout nouveau. Contrairement au 100 fabriqué par Sharp au Japon, le 110 est fabriqué par Inventec à Taiwan. 

Son design est amélioré avec un écran de protection rabattable. C’est le premier produit dont le design a été conçu par Jony Ive et c'est une réussite. L'autonomie double en utilisant des piles AA au lieu des AAA. Il est en plus possible de lui ajouter une station de charge avec des piles rechargeables, pratique. Il possède aussi trois fois plus de RAM.

Comme c'est souvent le cas avec les produits Apple, la première version du nouveau produit qu'est le Newton a beaucoup de défauts. Le MessagePad 110 a pour objectif d'essayer de les gommer autant que possible. Par exemple, le haut-parleur de la première version se trouve la plupart du temps couvert par la paume de la main de l’utilisateur, le rendant inutilisable. Le stylet est attaché sur le côté droit, le rendant difficile à utiliser pour les gauchers. De plus, il a tendance à tomber. 

Pour la nouvelle version 110, tout est repensé. Le stylet se trouve dans le mécanisme d’ouverture de la protection de l’écran en haut du Newton. Celle-ci se soulève par le haut, et non par le côté pour éviter de l’ouvrir comme un livre. Cela permet d’être compatible avec les pays qui lisent les livres de la droite vers la gauche, comme le Japon qui est un marché important pour Apple. Le stylet est trop long pour entrer sur la largeur. Qu'à cela ne tienne, Jony Ive a la solution : le stylet devient télescopique pour avoir la taille désirée. Le 110 est aussi beaucoup plus fin que l’original. Le haut-parleur change de place afin d'être fonctionnel. Le travail de Jony Ive est salué tellement il a réussi à améliorer le design original à tous les niveaux.

Le Newton MessagePad 120 sort en janvier 95 aux USA. La plateforme commence à arriver à maturité : plus de 100 applications tierces sont disponibles. En plus de cela, le système de reconnaissance de caractères de Palm, Graffiti, est livré avec le Newton, permettant ainsi de faire taire les quolibets du système de base souvent moqué.

La grande mise à jour du système d'exploitation du Newton, sobrement appelé Newton 2.0, arrive fin 95. Il améliore en tout point le Newton mais est disponible que pour le 120. Il permet par exemple de synchroniser ses données avec des applications sur Windows et Mac. Enfin, le système de reconnaissance de caractères est grandement amélioré.

Changement de direction

Cela semble s'arranger du côté du Newton. Des nouveaux appareils avec un tout nouveau système d'exploitation, un écosystème d'applications tierces vibrant de vitalité : il semble que la plateforme Newton est bien lancée. Malheureusement, c'est du côté d'Apple que c'est la Bérézina. Je rentrerais plus en détails dans un prochain épisode mais sachez qu'à partir de 1995, Apple entre dans une crise grave qui la met en danger. Spindler est remercié pour laisser place à Amelio qui a la réputation d'un cost-killer. Des rumeurs courent disant que le Newton sera le premier produit annulé : cela fait suite à une étude disant que la plateforme a couté 500 millions de dollars à développer sans rien rapporter. Cependant, à la surprise générale, Amelio n'annule pas le Newton et au contraire dit publiquement c'est une des technologies les plus importantes chez Apple.

Développement de différentes versions

C'est dans ce contexte particulier qu'est annoncé le MessagePad 130, premier Newton avec un écran rétro-éclairé (à la demande). Il permet de se connecter plus facilement à Internet et a tellement de RAM qu'il peut maintenant faire du multitâche.

Apple abandonne l'idée de vendre le Newton au grand public et vise plutôt un public de professionnels. Son prix d'ailleurs le démontre : 800$, ce n'est clairement pas pour tout le monde. D'autant plus que le concurrent direct, Palm, vient de sortir des versions plus de deux fois moins chères.

Et cela ne s'arrange pas avec la sortie du MessagePad 2000 qui coûte 1000$. Apple répond que son prix est élevé car il remplace un ordinateur portable. Dans la pratique, ce n'est pas du tout le cas. Impossible de n'utiliser qu'un Newton. 

Cependant, il est vrai que le 130 est une vraie bête de course avec son processeur cadencé à 160Mhz, à comparer aux autres Newton cadencés à 20/25 MHz. Il est installé avec le système Newton 2.0 qui est une réelle avancée. Et puis, il est livré avec des logiciels de qualité comme un gestionnaire de contact, un agenda, une application de liste de tâches, il peut envoyer des fax, envoyer des mails, il permet d'enregistrer de l'audio, d'écouter la musique et a même un navigateur web. De manière générale, les applications sont beaucoup plus réactives et la reconnaissance de caractères est enfin instantanée. Outre les applications fournies par défaut, il existe beaucoup d'applications tierces telles qu'un traitement de texte, un tableur, des logiciels de composition musical ou encore de nombreux jeux. Le Newton devient peu à peu une machine multimédia, terme à la mode à l'époque.

Un produit bizarre, le eMate 300, sort en même temps que le 2000. Le eMate 300 est une sorte d'hybride entre un Newton et un ordinateur portable. Il ressemble physiquement à un ordinateur portable avec son clavier physique qui se referme sur son écran mais celui-ci est en noir et blanc et on doit l'utiliser avec un stylet. Il est fait pour le marché de l'éducation et son design fait sensation. Le design de l'eMate 300 sera l'une des inspirations principales des futurs ordinateurs Apple avec son plastique translucide aux formes généreuses. Il était prévu d'ailleurs que le eMate 300 soit vendu avec des modèles de couleurs différents. Des prototypes violet, rouge et orange ont été produits mais jamais vendus.

Les deux derniers Newton se vendent bien et tout le monde pense que la plateforme est sauvée. Cependant, Palm lui aussi a des ventes astronomiques avec ses Palm Pilot Personal et Professional, vendus 300 et 400$. Palm en vendra plus d'un million en 18 mois.

Newton, Inc.

Malheureusement, Apple a besoin d'argent. Les temps sont durs et chaque trimestre l'entreprise est en déficit. Il faut absolument faire des économies. Des rumeurs parlent d'un achat de la division Newton par Acorn, Ericsson, Oracle, Samsung, Sony, Sun, bref, tout le monde et son cousin.

Malheureusement pour Apple, rien ne se signe au final. Pour contrer cela, la filiale Newton, Inc. est annoncée en 1997. Elle devra s'occuper de la vente du MessagePad 2000 ainsi que l'eMate 300. 130 employés d'Apple sont transférés.

Apple investit dans l'entreprise mais cherche à terme d'autres investisseurs, avec pour but une entrée en bourse dans les deux ans. Certains pensent que c'est positif : avec Apple en phase terminale, il est peut-être bon que le Newton vole de ses propres ailes d'autant plus que le succès, modéré, est réel.

Et puis tout compte fait, non. Comment ça, non ? Eh bien Apple revient sur sa position et ne veut plus que le Newton soit géré par une filiale. Elle est donc annulée.

Pourquoi ? Parce qu'Apple vient de changer encore une fois de CEO. Au revoir Amelio qui a tenu 18 mois, et re-bonjour Steve Jobs, le seul, l'unique qui devient CEO d'Apple pour la première fois. L'idée de la filiale Newton Inc venait d'Amelio et cela ne plait pas à Jobs. Même si publiquement il soutient le Newton (d'ailleurs ne vient-il pas d'annoncer le MessagePad 2100 ?) la réalité est tout autre : dès la fin de l'année 97, plus personne ne travaille sur le Newton sous ordre de Steve Jobs. La plupart des employés sont partis pour travailler chez le concurrent, Palm, ou transféré en interne chez Apple. 

Apparemment, les ventes des Newton se sont ralenties en 1997 et en 1998 Apple annonce la fin du Newton.

Liens avec le Mac

Je ne peux m'empêcher de faire remarquer à quel point l'histoire du Newton ressemble à celle du Macintosh. 

Au départ, c'est une petite équipe qui a pour but de révolutionner l'informatique qui travaille à l'écart du reste de l'entreprise. 

Le nouvel appareil doit remplacer l'ordinateur populaire de la marque, l'Apple II pour le Mac et le Mac pour le Newton.

Les deux projets provoquent la jalousie du reste de l'entreprise.

Les deux nouveaux appareils utilisent de nouvelles technologies et est prévu pour être commercialisé sur un nouveau marché.

Le projet de départ est mené par un homme qui est rapidement remplacé : Raskin pour le Mac et Sakoman pour le Newton. 

Le projet est, par la suite, pris sous l'aile d'un des hommes forts d'Apple : Jobs pour le Mac, Sculley pour le Newton.

Le projet est victime de nombreux retards.

Après la sortie, les ventes ralentissent scellant le sort du responsable. Jobs est en partie écarté d'Apple à cause de la mauvaise performance du Mac sur le marché, tout comme Sculley.

C'est comme si Apple à cette époque n'apprenait pas de ses erreurs.

Echec

Peut-on dire que le Newton est un échec ? Effectivement, au cours des deux premières années de commercialisation, seuls 140 000 exemplaires sont vendus, soit dix fois moins que de Palm. Cela peut paraître insuffisant. D'autant plus quand Sculley annonçait le Newton comme le sauveur d'Apple, comme le produit pouvant créer un renouveau et une nouvelle croissance. Seulement le Newton ne générera jamais plus de 1% du chiffre d'affaires d'Apple.

Cependant, je ne dirais pas forcément que le Newton est un échec. Si l'on compare par exemple avec les débuts de l'Apple II, ce n'est pas si simple. Les deux appareils sont comparables : ils arrivent tous les deux sur un marché pratiquement inexistant qu'ils doivent créer pratiquement à eux tout seul. Quand le Newton se vend à 140 000 exemplaires en deux ans, c'est trois fois moins pour l'Apple II. Mais la comparaison s'arrête là : en 1979, Apple n'était qu'une toute petite start-up alors qu'en 1993, c'est un géant de l'informatique. Les critères de réussite ne sont alors pas les mêmes.

D'autant plus quand les annonces de Sculley ne laissaient pas le choix au Newton. Avec son marché de 3000 milliards de dollars, ses dires que la révolution à venir, ses fantasmes sur le futur de l'informatique mobile, il est clair pour tout le monde que le Newton va être un succès sans précédent. L'objectif était bien trop ambitieux par rapport à la réalité.

Enfin, le développement du Newton a coûté une fortune, ou un pognon de dingue comme dirait l'autre. Tout ce qui se trouve dans l'appareil est à la pointe de la technologie de l'époque.

Tout a dû être inventé, que ce soit pour la reconnaissance de caractères, la communication de données mobiles, l'interface avec stylet, la miniaturisation, la gestion de l'autonomie, etc. Ce genre d’investissement est conséquent et prend des années à être amorti. Le Newton n’a pas apporté aussi rapidement que prévu le retour sur investissement escompté.

Malgré cela, le Newton aura un impact important sur le marché. De nombreux PDA sortent par la suite comme les Palm. Microsoft de son côté créé un système d'exploitation pour PDA, appelé Windows CE, qui permet à d'autres entreprises de se lancer sur le marché comme HP ou Dell.

Outre son influence sur le marché des PDA qu'il va créer, le Newton permet aussi d'anticiper l'arrivée des smartphones. En effet, de nombreux smartphones sont au départ des PDA auxquels sont ajoutés des fonctionnalités de téléphone comme les Handspring. Et puis, il est assez aisé de voir que le Newton est en quelque sorte le grand-père de l'iPhone. À ce propos, vous vous rappelez de Steve Sakoman ? Eh bien il va rejoindre son ami Jean-Louis Gassée dans la nouvelle aventure Be. Etant donné le pédigree des deux personnages, tout le monde pensait que Be aurait pour objectif de faire un PDA. Il n'en sera rien mais l'ironie du sort veut que Be sera racheté par Palm.

Sakoman quant à lui reviendra au bercail, chez Apple, en 2003. Les rumeurs disaient qu'il travaillait sur une tablette. Il quittera Apple fin 2005. Il a travaillé sur les iPod et sur l'iPhone. Il a fait parti des personnes influentes ayant conseillé à Steve Jobs de faire un smartphone. De manière générale, de nombreuses personnes qui ont travaillé sur le Newton ont par la suite travaillé sur l'iPhone. Et puis, c'est aussi grâce au Newton qu'ARM a pu se développer. Aujourd'hui, tous les smartphones ont un processeur tirant parti des designs d'ARM et Apple en tire largement profit avec ses processeurs dans tous ses produits.