Transcription épisode 13

Ceci est la transcription de l’épisode 13 de Nolotec Podcast.

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Nolotec Podcast, épisode 13 : A la recherche d'un nouveau système d'exploitation

Gil Amelio CEO

Quand Gil Amelio remplace Michael Spindler à la tête d'Apple, la société est au plus mal. Cela tombe bien : Amelio est reconnu dans le milieu pour prendre des entreprises en difficulté afin les redresser, ce qu'il a fait notamment avec National Semiconductor. Contrairement à Sculley et Spindler, les deux derniers CEO, Amelio a des connaissances techniques très poussées. Il a une thèse en physique, du coup il prend comme surnom : Docteur Amelio.

En étudiant Apple, il arrive à la conclusion que l'entreprise a 5 problèmes principaux (rien que ça...) :

- Apple manque de liquidité.

- La qualité des produits est en chute libre.

- Le système d'exploitation de prochaine génération est en retard et il faut trouver une solution.

- La culture d'entreprise ne permet pas de la manager. En effet, il y a une véritable défiance de l'autorité qui vient directement de la culture hippie et anti-conformiste des fondateurs.

- Enfin, le catalogue de produit est incompréhensible tellement il y a de choix. 

Amelio est très déçu du management au sein d'Apple. Alors qu'il organise des réunions, il est sidéré de voir les managers présenter leurs divisions sans aucune préparation et sans support. Aucun ne trouve à redire sur son travail, bizarre quand l'entreprise perd des millions chaque trimestre.

Les équipes techniques ne sont pas plus sérieuses : alors qu'Amelio annule certains projets afin de faire des économies, il se rend compte avec stupeur quelque semaines plus tard qu'il n'a pas été écouté et que le projet continue comme si de rien n'était. Quand on parlait de problème d'autorité dans la culture d'Apple...

En faisant le tour des produits en cours de développement, Amelio croise de bonnes surprises comme le PowerBook 1400, premier PowerBook avec lecteur CD. Mais il trouve aussi des projets bien pourris. 

Par exemple, le projet Mercury qui est censé être le portable parfait pour les commerciaux. En effet, son écran peut se déconnecter pour montrer facilement les informations au client, comme une sorte de tablette. Quand je disais qu'Apple essaie de faire un ordinateur pour chaque personne... Malheureusement, pour que cela fonctionne, il faut que la batterie, la carte mère et l'alimentation soient intégrées à l'écran. Le problème vient du fait qu'en utilisation classique d'ordinateur portable, le poids important de l'écran le déséquilibre, le faisant tomber en arrière. Amelio annule logiquement le projet.

Malheureusement, des exemples similaires sont légion comme le Performa 6400. Censé être l'ordinateur familial par excellence, il n'a qu'un port série : impossible donc de connecter un modem et une imprimante en même temps. Amelio ne comprend pas que ce problème évident n'ait pas été vu plus tôt. Il comprend alors que le mal est profond au sein d'Apple et qu'il est donc impossible de fusionner ou vendre la société en l'état. Il juge Apple invendable. En effet, un des objectifs du conseil d'administration était de trouver un repreneur pour la société. Amelio avait donc comme objectif de remettre Apple en ordre afin de vendre la société à un bon prix. Cependant, pour cela, il va falloir travailler ! Comme Napoléon, Amelio se donne 100 jours pour tout analyser et trouver des solutions.

En attendant, il faut faire bonne figure. C'est pour cela qu'il annonce qu'Apple fera des profits dans un an et que la situation sera positive dans 3 ans. Mais il prévient que le traitement du docteur sera un vrai traitement de choc. Sans compter que les nouvelles sont mauvaises : au deuxième trimestre de 1996, Apple annonce sa plus grande perte de son histoire : plus de 700 millions de dollars. Mais d'où viennent ces pertes phénoménales ? Eh bien toujours pour les mêmes raisons : Apple a ses stocks plein d'ordinateurs que personne ne veut acheter. L'entreprise est obligé de les détruire afin de passer à autre chose. De plus, les 2800 licenciements (soit 1500 de plus que ce qu'avait annoncé Spindler quelque mois plus tôt) coutent une fortune. Afin d'avoir un peu de liquidité, Apple est obligé de vendre certaines de ses usines : en effet, avec moins de 600 millions de dollars d'avance, la société n'a à peine de quoi voir venir pendant quelques mois au vu des récentes pertes.

Pour faire des économies, il faut simplifier la gamme. Or, le catalogue est d'une complexité effrayante. En effet, les Mac sont disponibles en douze formes différentes. Trois ordinateurs portables, trois formats de tour et six formats d’ordinateurs de bureau. Par exemple, les Performa ont onze ordinateurs différents. Les Power Macintosh, eux, ont quinze versions. Les ordinateurs portables en ont six. Et je vous fais grâce des serveurs. C'est en toute logique qu'Amelio s'attaque à limiter la complexité de la gamme.

Une fois la réflexion lancée sur les économies et sur la simplification du catalogue, Amelio décide de se pencher sur le prochain chantier de taille : trouver un système d'exploitation de dernière génération pour le Mac.

La recherche et le développement d'un système d'exploitation de prochaine génération commence en 1987. La menace de Windows pousse Apple à réfléchir à la prochaine génération de système. En parallèle, 5 développeurs stars, appelé gang des 5, menacent de démissionner car ils sont déçus par le développement de la plateforme Mac, notamment au niveau du système. Ils se plaignent d'une évolution trop lente, par petites touches, alors qu'ils pensent qu'il faut tout repenser. 

Une réunion est organisée afin de penser au futur de la plateforme. Les ingénieurs réfléchissent alors aux fonctionnalités à inclure dans les prochaines versions du système Mac. Sur des feuilles rouges sont notées les fonctionnalités qui pourront être implémentées dans un futur lointain, comme la reconnaissance vocale ou la reconnaissance de caractères. 

Sur des feuilles roses sont notées les fonctionnalités qui demandent une révision majeure du système comme un environnement de développement objet, un support d'autres langues que l'anglais, dont celles avec un alphabet différent (comme les langues asiatiques et le support des caractères spéciaux comme les accents en français) et la gestion du multitâche préemptif. 

Et enfin sur des feuilles bleues sont notées les fonctionnalités qui peuvent être intégrées dans la prochaine version comme la gestion du multiutilisateur, la gestion de la mémoire virtuelle ou encore le multitâche coopératif. Les fonctionnalités des feuilles bleues seront implémentées dans les System 6 et 7.

Projet Pink

C'est ainsi que le projet Pink est lancé, appelé ainsi car son nom vient de la couleur des feuilles roses dont les principales fonctionnalités sont issues. Pink doit être le système d'exploitation de prochaine génération. Les ingénieurs veulent qu'il soit un grand pas en avant par rapport au système Macintosh actuel. L'objectif de départ est de sortir ce nouveau système en 1989, soit après deux ans de développement, ce qui est pour le moins ambitieux. Evidemment, il aura de multiples retards. Bien que le chef de projet a eu la bonne idée d'isoler l'équipe du reste d'Apple, les avancées sont lentes et le nombre de développeurs insuffisant : ils sont 20 alors que le projet Blue compte plusieurs centaines d'ingénieurs. 

Des dissensions se font sentir : le chef de projet veut que Pink soit un système Mac rétrocompatible alors que la plupart des développeurs veulent que Pink soit indépendant, rendant le développement plus simple et aussi plus ambitieux.

Suite à une mutinerie de ses développeurs, le chef de projet accepte que le projet Pink ait son propre microkernel, indépendant et donc incompatible avec la plateforme Mac.

Les retards s'enchainent et le chef de projet est remercié. Seule une version bêta très instable existe. Les développeurs de Pink deviennent paranoïaques, ils ont l'impression que tout le monde leur en veut et qu'on va piquer leur travail sans rien leur demander. Quand le projet Jaguar souhaite utiliser Pink, la demande est refusée. L'équipe Jaguar n'a même pas le droit de voir le système tourner. Les discussions sont tellement tendues qu'il faut que le CEO de l'époque, Sculley, intervienne lui-même pour calmer les choses.

Finalement, le projet Pink quitte Apple en 1991 pour être intégré dans la société Taligent qui a pour objectif de développer un système d'exploitation pour IBM, je vous invite à ce sujet à écouter l'épisode précédent. Ce qui veut dire que les développeurs qui doivent créer le système d'exploitation du futur du Macintosh ne travaillent plus pour Apple mais pour Taligent. Cela a son importance. Je vous la fais courte : le développement de Taligent galère pour tout compte fait ne plus être un système d'exploitation mais une sorte de surcouche logicielle. Même avec ce dernier "pivot", Taligent n'est pas sauvé et fait faillite en 1995. Dire qu'Apple est dans la panade est un euphémisme : la société n'a pas de système d'exploitation de dernière génération et n'a pas les ressources en interne pour le développer puisque presque tous les spécialistes systèmes sont partis. De plus, le temps manque car Windows 95 va bientôt sortir.

Copland

Le projet Pink étant mort et enterré, quelle solution pour Apple ? Vous vous rappelez du projet Blue qui se contentait d'intégrer des nouveaux éléments du système pour la version suivante ? Eh bien cela fonctionne plus ou moins. Le développement du système Mac suit son cours avec des mises à jour régulières depuis des années. Mais ce n'est pas suffisant : le Mac a toujours besoin d'une mise à jour conséquente pour intégrer des éléments indispensables pour tout système d'exploitation du milieu des années 90. D'autant plus quand Windows n'est plus ce système de seconde zone mais bien une alternative sérieuse, voire meilleure dans certains domaines. Apple ne peut plus s'enorgueillir de la supériorité de son système. Or, pour avoir une chance sur le marché, il est indispensable pour le Mac d'avoir un système meilleur que Windows en termes de facilité d'utilisation, de stabilité et de fonctionnalité. Sinon, pour quelle raison choisir un Mac qui est plus cher, est compatible avec moins de périphériques et a moins de logiciels que les PC sous Windows ? Avec l'arrivée de Windows 95, il faut absolument que le Mac ait une réponse. 

La faillite de Taligent pousse les ingénieurs d'Apple à trouver une solution. Ils forment un projet au nom de code Copland (nom d'un compositeur américain) dans le but de faire le prochain système pour le Mac. Copland devra avoir une interface graphique totalement modulable. Pour démontrer cette fonctionnalité, le système sera fourni avec 3 thèmes différents : une interface Mac classique, une autre plus colorée pour les enfants et une dernière plus futuriste.

Les ingénieurs veulent aussi que Copland récupère un certain nombre de technologies issues du Newton comme un système d'agents intelligents et une gestion de fichiers du Finder gérée par une base de données relationnelle.

Il est prévu que Copland soit suivi de Gershwin (nom là aussi d'un autre compositeur américain) qui ajoutera enfin le multitâche préemptif, ainsi que la protection de mémoire. Le multitâche préemptif est une technologie qui commence à devenir indispensable, le principe est le suivant : c’est le système d’exploitation qui gère le temps d’exécution dans le processeur pour chaque programme. Or, le System 7 utilise le multitâche coopératif : chaque programme indique de combien de temps processeur il a besoin avant de passer la main à un autre programme. Le problème est que si un programme plante, il ne peut pas passer la main au programme suivant et c’est tout le système qui s’arrête. De plus, le multitâche coopératif n'est pas une gestion des ressources efficace, rendant le système plus lent que nécessaire.

A contrario, le multitâche préemptif a l’avantage de rendre le système beaucoup plus stable et réactif

Autre anachronisme du système Mac : il assigne une quantité de mémoire fixe au programme à son lancement, alors que Windows 95 peut modifier la quantité de mémoire allouée dynamiquement et changer les priorités entre les programmes, ce dont est incapable le système Mac. Tout cela permet une plus grande rapidité et s’avère plus agréable à utiliser. 

Dans la même veine, le système Mac n'a pas de protection de mémoire, permettant à n'importe quel programme d'accéder à toute la mémoire vive, ce qui peut être très dangereux si un programme modifie une valeur dans une zone mémoire utilisée par le système provoquant la plupart du temps un plantage total de l'ordinateur. La protection de mémoire permet de se prémunir contre ce genre de risque. Cette technologie permet au système d'allouer un espace mémoire pour chaque processus, ce qui rend le système plus sécurisé et stable.

Mais le multitâche préemptif et la protection de mémoire n'est prévu que pour Gershwin, la version qui doit suivre Copland. Pour Copland, il est prévu qu'il soit natif pour les processeurs PowerPC, ce qui devrait le rendre très rapide et agréable à utiliser. C'est un bond en avant par rapport au System 7 qui est encore programmé, en partie, en assembleur pour la famille des processeurs 68000 de chez Motorola. Bien que le System 7 est retrocompatible avec les vieux programmes Mac, que ce soit pour les processeurs 68000 et PowerPC, cela se fait au détriment de la performance.

Autre fonctionnalité que doit avoir Copland est la gestion multiutilisateur. Fonctionnalité indispensable dans le milieu professionnel, cela devient pratique dans un contexte familial. Dans les années 90, de plus en plus de familles possèdent un seul ordinateur, utilisé par plusieurs personnes. Ainsi, avoir un système permettant à chaque membre de la famille d'avoir son propre compte avec des droits appropriés (selon l'âge par exemple) peut être appréciable.

Bien qu'annoncé dès mars 94, Copland est déjà en retard. Les fonctionnalités s'ajoutent les unes aux autres et repoussent d'autant la sortie. En effet, la menace de Windows 95 pousse les ingénieurs à toujours faire mieux afin de montrer que leur système est supérieur à celui de Microsoft.

Plus d'un an après son annonce, en aout 95, Apple annonce que Copland sortira un an plus tard. Cependant, Windows 95 est un véritable ouragan et Apple n'avait pas du tout anticipé son ampleur. Pour la première fois, Microsoft a un système d'exploitation meilleur presque en tout point au système Mac. Windows 95 utilise le multitâche préemptif et l’allocation de mémoire dynamique, donnant un coup de vieux aux ordinateurs d'Apple qui sont dépassés technologiquement.

La pression est immense sur les développeurs de Copland. D'autant plus que la beta distribuée à des développeurs triés sur le volet n'est pas bien reçu. Bien que 500 ingénieurs travaillent dessus avec un budget de plus de 250 millions de dollars, cela n'est pas suffisant. Je rappelle donc, en passant, que le budget de développement de Copland est inférieur au budget marketing de Windows 95. 

Cependant, pour Apple, ce budget est conséquent, d'autant plus que la société traverse une période extrêmement délicate. Bien que Copland soit présenté comme le nec plus ultra de la technologie, il ne cesse de décevoir à chacune de ses apparitions. De plus, chaque annonce de son retard logiquement agace, d'autant plus quand les pertes immenses d'Apple commencent à semer le doute sur la capacité de l'entreprise à pouvoir mener à bien le projet.

Au lieu d'annoncer un nouveau report, Amelio change de stratégie : Copland sera livré en plusieurs parties. Harmony doit sortir début 97 et Tempo en milieu d'année pour ajouter le multitâche et le multithreading. Ce n'est que le début des déboires. 

La nouvelle cheffe de la R&D Ellen Hancock, issue de Sun, passe en revue le projet et n'est pas impressionnée, c'est le moins que l'on puisse dire. Elle se rend compte que Copland ne gère pas la protection de mémoire ce qui la surprend car c'était un des objectifs majeurs. De plus, la connexion à Internet est trop instable pour être utilisable. Le projet est tellement bordélique qu'elle prend une décision radicale : elle décide d'arrêter tout développement qui n'est pas en rapport avec Harmony et Tempo. Elle cherche à sauver ce qui peut l'être avec l'énergie du désespoir.

Les développeurs du Mac entendent les différentes rumeurs, parfois partagées par les ingénieurs d'Apple eux-mêmes et prennent peur. Copland ressemble de plus en plus à un désastre. Certains même parlent de "vaporware" : un logiciel qui reste tellement longtemps en développement qu'il ne sortira jamais.

La panique est partagée par la direction : elle comprend tardivement que le Mac n'aura tout compte fait pas son système d'exploitation de dernière génération. Copland n'est pas la solution attendue. Le projet est donc annulé en aout 96. C'est d'autant plus la panique qu'Amelio doit présenter une solution de remplacement à Copland pour le MacWorld qui se déroulera 4 mois plus tard, le 7 janvier 1997.

Vers une solution externe

Si Apple ne peut pas développer de système en interne, il faut donc trouver une solution chez une autre entreprise. Amelio va alors chercher à acheter une entreprise qui peut fournir un système en urgence à Apple. La recherche se fait du côté des entreprises purement logicielles car elles sont moins chères et assez petites pour être intégrées à Apple.

Malgré tout c'est une aveu d'échec cuisant pour la société de Cupertino. En agissant ainsi, elle démontre qu'elle est incapable d'être compétitive sur le marché des systèmes d'exploitation. C'est un aveu de faiblesse incroyable certes, mais le fait de chercher une solution externe offre au moins un motif d'espoir.

Un candidat idéal s'impose : la société Be avec son système BeOS. Be est la société de Jean-Louis Gassée, créée quand il est parti d'Apple. Il voulait faire un ordinateur de dernière génération avec un système d'exploitation moderne écrit en C++. Contrairement à Steve Jobs qui a laissé de très mauvais souvenirs chez certains à Apple, notamment au conseil d'administration de l'époque, c'est tout le contraire avec Gassée. Il a gardé de très bons contacts au sein d'Apple. Le système BeOS a un avantage sur NeXT, la société de Steve Jobs : il permet déjà de faire tourner des logiciels Mac. En effet, la BeBox fonctionne aussi en tant que clone de Mac en plus d'avoir son propre système d'exploitation BeOS. C'est en gros deux machines en une. D'ailleurs, Gassée a déjà essayé de vendre son système à Apple quelques années auparavant, avec l'argument suivant : "Copland risque de crever un pneu sur la route du succès, Apple devrait acheter une petite assurance". Nul doute que Gassée avait des informations en interne via des ingénieurs dont il était proche comme quoi le développement de Copland ne se passait pas aussi bien que prévu. 

Be a le vent en poupe. La société a présenté sa machine, la BeBox, à la fin de l'année 95 et elle a tout pour plaire au niveau matériel : deux processeurs PowerPC, bus SCSI, son qualité CD, ports PCI, MIDI, série et ISA. Au niveau du style, la BeBox est en avance : elle a des lumières en façade pour montrer l'utilisation des deux processeurs et du disque dur. Mais c'est principalement le système d'exploitation qui fait tourner les têtes : il gère le multithreading, la protection de la mémoire, il est orienté objet et gère le multitâche préemptif. Bref, tout ce que recherche Apple et promettait Copland.

Àsa demande, Amelio voit Gassée qui lui fait une démonstration des possibilités de son système sur un clone Power Tower Mac. Il a à ses côtés un ancien de chez Apple, Steve Sakoman, papa du Newton.

Amelio est impressionné par la rapidité du système, qui est bien plus réactif que le System 7. Le fait que le système fonctionne sur du matériel fait pour le Mac est un avantage évident.

Cependant, tout comme NeXT, le business model de Be est remis en question par l'industrie. Il est très difficile, voire impossible, pour un nouveau venu de trouver un marché pour un nouveau système face à Microsoft et Apple. NeXT a échoué, comme Atari, Commodore, Amiga et j'en passe. Même le géant IBM s'est cassé les dents avec OS/2. La comparaison avec NeXT agace Gassée : « S’il vous plaît, ne nous comparez pas avec NeXT. Nous voulons être un meilleur outil pour les développeurs, pas avoir du goût. Notre ordinateur ne coûte pas 10 000 $ (soit le prix du NeXT Cube). Nous proposons un lecteur disquette (alors que le Cube non). Nous ne déféquons pas sur nos développeurs ». On reconnait ici le verbe haut du français. Certains disent que Gassée a créé Be afin de se faire racheter par Apple et qu’il ne voulait pas véritablement se lancer dans le hardware. Si l'on y réfléchit, c'est d'ailleurs le seul business model qui tient la route. Un peu comme ces dernières années avec ces start-up qui se créent avec comme seul but d'être racheté par Facebook ou Google. 

Les négociations avancent. Apple n'est pas intéressée par un accord de licence mais veut plutôt racheter l'entreprise. En effet, quand Apple voit comment l'accord de licence entre Microsoft et IBM a tourné en la faveur de Microsoft, Cupertino ne veut pas faire la même erreur. Gassée négocie que son équipe de 50 personnes rejoigne Apple. Il veut aussi être à la tête du développement des futurs systèmes d’exploitation. Il propose d’être payé un dollar par an, mais ses investisseurs demandent 15 % d’Apple (ce qui équivaut à 500 millions de $), ainsi que des places au conseil d’administration. Cela fait beaucoup, d'autant plus qu'Amelio évaluait Be à 50 millions de $, soit 10 fois moins.

Gassée sent qu’Apple est désespérée et a besoin des technologies de son système. Essayant d'utiliser son avantage au maximum, il aurait dit : « Je les tiens par les couilles et je compte serrer jusqu’à ce que ça fasse mal ». Là aussi, on remarque le sens de la formule de Gassée. Cependant, BeOS a besoin de beaucoup de travail pour être exploitable par les millions de clients d'Apple. Certains évaluent le travail à plus de 3 ans de développement, ce n'est pas rien. Quand on regarde de plus près, il est vrai que Be OS n'est pas prêt à être utilisé tel quel. Il n’a pas de pilotes pour imprimante, ne gère pas le partage de fichiers, ne gère pas d’autres langues que l’anglais (n’oublions pas que le marché asiatique est très lucratif pour Apple) et la gestion des applications Mac n'est pas encore prête…

Nous sommes à l'automne 96 et les deux parties n'arrivent pas à se mettre d'accord : Gassée veut plus de 200 millions alors qu'Apple n'est prêt à débourser "que" 125 millions. Avec Be jouant les durs à cuire dans la négociation, Apple essaie de trouver une solution de repli. 

Amelio se tourne alors vers Microsoft. Il pense éventuellement pouvoir utiliser Windows NT, système le plus avancé de la société de Bill Gates, mais suffisamment modifié pour avoir une interface similaire au System 7. Windows NT a le double avantage d'être compatible avec tout l'écosystème Windows tout en pouvant être utilisé sur des machines avec processeur PowerPC sur lequel il fonctionne déjà. L'idée enchante Bill Gates qui va tout faire pour que cela se fasse. Pour que le projet fonctionne, il faut investir massivement afin de changer l'interface pour qu'elle ressemble à celle du Mac. Il faut aussi porter QuickDraw et QuickTime sur Windows. Cela ne fait pas peur à Bill Gates qui annonce à Amelio qu'il peut mettre 100 ingénieurs tout de suite sur la tâche.

Mais pourquoi Bill Gates est aussi motivé ? Il a évidemment une idée derrière la tête. Il veut quelque chose en retour de tout cet investissement : l'abandon des poursuites sur l'utilisation de l'interface graphique. En effet, Apple et Microsoft sont toujours en procès. Finalement, Amelio juge que ce n'est pas une bonne idée. On peut le comprendre : on ne peut imaginer Apple avec un système Windows. Microsoft est toujours l'ennemi d'Apple.

Ellen Hancock quand à elle préfère le système Solaris de Sun. Ce qui est logique : elle a quitté Sun pour venir travailler chez Apple. Mais il faut dire que Solaris, lui aussi, a tout pour plaire. Il gère le multitâche préemptif, il est multi-utilisateur et gère la protection de la mémoire. C'est aussi un système basé sur UNIX, gage de qualité et de sérieux. Malheureusement, Sun n'est pas Microsoft et n'a pas assez d'employés pour convertir QuickDraw et QuickTime rapidement. L'interface austère, pour ne pas dire hideuse, de Solaris serait aussi difficile à modifier afin de la rendre similaire au Mac. Le temps de développement afin de le transformer est bien trop important, Apple a besoin d'un système et vite.

Alors quelle est la solution ?

NeXT

Il se trouve qu'un des ingénieurs de NeXT, société de Steve Jobs a créé en partant d'Apple qui a pour objectif de faire des workstations pour entreprises et les universités, entend les rumeurs autour de l'achat de Be par Apple. Il en profite pour contacter Ellen Hancock et cela sans rien dire à Steve Jobs. Il commence la discussion avec Hancock de la manière suivante : alors il parait que vous cherchez un système d'exploitation ? Hancock envoie des ingénieurs chez NeXT afin d'avoir leur avis. Après de multiples réunions secrètes, les retours sont très positifs : les ingénieurs d'Apple sont impressionnés par le travail effectué chez NeXT. 

Enfin, Steve Jobs est mis au courant de ce qui se passait en coulisse et il prend la suite. Il décide alors d'appeler directement Amelio et lui conseille de laisser tomber Be. Évidemment, il a une dent contre Gassée qui est au cœur de son départ d'Apple, vous pouvez écouter l'épisode 8 à ce sujet. Jobs crache sur Be et propose de discuter pour une licence de son système d'exploitation NeXTSTEP.

Il faut rappeler qu'à ce moment-là NeXT est un échec complet. Nous avons tous en tête l'image d'un Steve Jobs conquérant auréolé de ses succès phénoménaux tels que l'iPod, l'iPhone ou encore l'iPad. Or, le Steve Jobs de 96 n'est pas du tout le même. Il est d'ailleurs considéré comme un has-been dans la Silicon Valley. La raison est qu'après le Macintosh, il n'a pas fait grand chose. 

Pixar met presque 10 ans à devenir une entreprise intéressante grâce au succès de Toy Story, mais Steve Jobs a du massivement investir pour cela. 

De l'autre côté, son entreprise principale NeXT est un échec et cela presque à tous les niveaux.

La société n'a réalisé qu'une seule fois du bénéfice en 10 ans d'activité. Il s'est vendu en tout et pour tout 50 000 machines NeXT. La société a tellement besoin d'argent que Jobs est prêt à tout pour la sauver. Récemment, il fait un pivot en choisissant de ne plus vendre de matériel mais plutôt vendre des licences de son système NeXTSTEP. Il veut faire entrer sa société en bourse mais n'y arrive pas. Trouver un repreneur est alors sans doute la seule chose qui reste à faire avant de mettre la clé sous la porte.

En se rapprochant d’Apple, Jobs a trois objectifs : premièrement, il veut faire chier Gassée qui l’a trahi et est à l'origine de son départ d'Apple. Il raconte à qui veut l'entendre que Gassée est le mal absolu. Il fera tout pour lui nuire. Deuxièmement, Jobs veut rembourser ses investisseurs qui l’ont suivi pendant la période difficile qu’il vient de traverser. 

Enfin, il veut que toutes les personnes extrêmement talentueuses qu’il a recrutées au sein de NeXT aient un avenir et si possible avec lui comme patron. Il pense que ce serait dommage qu'une si bonne équipe soit démantelée, lui qui a mis tant d'années et d'efforts à la former. Apple est son dernier espoir de sauver NeXT.

Steve Jobs revient sur le campus d'Apple en décembre 96. C'est la première fois qu'il revient sur les terres de l'entreprise qu'il a créé depuis son éviction en 1985, on peut imaginer à quel point cela doit être émouvant pour lui. Il est là pour présenter son système NeXTSTEP à Amelio. Comme il sait le faire, il fait une présentation avec plein de charme et de charisme. Son champ de distorsion de réalité marche à plein régime. Amelio est subjugué, il est complètement sous le charme de Jobs alors qu'en réalité celui-ci le méprise profondément. Chose rare, Steve Jobs apparait même plein d'humilité, c'est dire à quel point il veut que l'accord soit signé. C'est une performance digne des plus grands acteurs hollywoodiens. Naturellement, Jobs fait des piques à Be, il ne peut s'en empêcher. Il fait remarquer que contrairement à Be, NeXT a un système d'exploitation qui est lui totalement fini. Système qui est utilisé par de vrais clients actuellement et non pas dans le futur. De plus, la plateforme NeXTSTEP a déjà des développeurs, des logiciels et des outils de développement considérés comme les meilleurs au monde.

Jobs continue son argumentaire. Il dit qu'il est prêt à tout pour qu'il y ait un accord entre NeXT et Apple. Il dit : « Si vous pensez que NeXT a quelque chose qui peut vous aider, je vous ferai une offre qui vous ira, que ce soit un accord sur des licences, vous vendre la société ou quoi que ce soit. Cependant, je pense qu’une fois que vous aurez vu ce que j’ai à vous offrir, vous voudrez alors la société entière avec tous mes talentueux employés ».

Amelio est surpris par le comportement de Steve Jobs. Lui aussi a entendu toutes ces histoires sur le comportement tyrannique de Jobs ainsi que ses colères légendaires. Alors qu'il s'attendait à un bulldozer, Jobs est très calme et arrangeant.

Apple met en concurrence Be et NeXT dans une dernière présentation devant des ingénieurs de Cupertino. Larry Tesler, développeur de légende chez Apple, dira à Amelio cette phrase digne de Nostradamus : quelque soit l'entreprise que tu choisiras, sache que tu récupéreras quelqu'un qui te piquera ton boulot, que ce soit Steve ou Jean-Louis.

Jobs dit que son système à 5 à 7 ans d'avance sur tout le monde. Il montre à quel point il est fait pour des besoins modernes d'un ordinateur. Il fait une démonstration de fonctionnalités concrètes comme la connexion sur Internet, de la création multimédia ou encore un navigateur web. Je rappelle d'ailleurs à ce sujet que le tout premier navigateur web a été créé sur un NeXT Cube par Tim Berners-Lee. On peut même dire que le web est né sur une machine NeXT.

Parmi tout ce qui est montré, une démonstration laissera sans voix : le fait de pouvoir lire 4 vidéos en même temps sans que le système ralentisse, chose incroyable à l'époque quand lire une seule vidéo pouvait ralentir tout le système. Steve Jobs laisse Avie Tavanian faire une démonstration approfondie du système sur un ordinateur portable, montrant qu'il est optimisé même pour les machines les moins puissantes.

De son côté, Gassée ne présente rien de nouveau, soit parce qu'il était persuadé qu'il avait gagné la partie, soit parce qu'il n'avait pas compris que c'était la présentation décisive. Il n'a aucun support de présentation et se contente de répondre aux questions des ingénieurs.

L'achat de NeXT est annoncé le 20 décembre pour 400 millions de dollars. Tout le monde s'accorde pour dire que c'est un prix exorbitant. D'autant plus quand on pense qu'Amelio a refusé d'acheter Be pour deux fois moins cher. Cependant, ce qu'a à offrir NeXT est bien plus important que ce que proposait Be.

Steve Jobs a l'intelligence de ne pas faire la même erreur que Gassée et ne négocie pas outre mesure. Alors qu'il voulait être payé en cash, Amelio refuse : il veut le payer en actions Apple, pour le motiver à ce qu'Apple réussisse. Un compromis sera trouvé : Steve Jobs sera payé 120 millions en cash et le reste en action, soit 1,5 millions d'actions Apple. Alors qu'Amelio voulait qu'il garde les actions au minimum 1 an, Jobs négocie de pouvoir les vendre au bout de 6 mois, gardez bien cette information en tête...

Amelio réussit tant bien que mal à resister au champ de distorsion de réalité. Quand Jobs demande une place au conseil d'administration, Amelio refuse, disant que les blessures du passé sont encore fraiches. Il accepte cependant qu'il soit un conseiller spécial, ce qui veut tout et surtout rien dire.

Il reste à Amelio à communiquer sa décision à Bill Gates qui entre dans une colère dont il a le secret. Il aurait dit à Amelio : "Tu crois vraiment que Steve Jobs a un bon système ? Je connais sa technologie, ce n'est rien d'autre qu'un UNIX réchauffé, et vous ne serez jamais capable de le faire fonctionner sur vos machines. Tu ne comprends pas que Steve ne connaît rien à la technologie ? C'est juste un super vendeur. Je ne peux pas croire que tu prennes une décision aussi stupide. Il ne connaît rien à l'ingénierie, et 99% de ce qu'il dit et pense est faux. Mais bordel pourquoi tu achètes cette merde de système ?"

Beaucoup dans le milieu partage, au moins en partie, le sentiment de Bill Gates. La décision d'acheter NeXT à la place de Be n'est pas vraiment comprise dans la Silicon Valley, et encore moins à ce prix. Beaucoup pensent qu'Apple fait une énorme erreur en ne choisissant pas Be.

MacWorld Expo 

Ainsi, le choix du système d'exploitation s'est fait en un mois. Toute cette précipitation s'explique par le fait qu'il faut absolument annoncer quelque chose à la keynote du MacWorld du 7 janvier 97. Il faut rassurer tout le monde après l'annulation de Copland. Malheureusement, la keynote est une horreur. Elle dure 3 heures et Amelio n'est pas au mieux de sa forme. On y trouve tout et n'importe quoi, comme la présence de stars comme Mohammed Ali et Jeff Goldblum qui viendront sur scène. Mais dans la même temps il est annoncé une perte de 120 millions de dollars. Puis pour la première fois est présenté  le Mac des vingt ans (Twentieth Anniversary Macintosh : aussi donc appelé TAM). 

Amelio annonce fièrement le retour des co-fondateurs. A l'insu de Steve Jobs qui n'en savait rien, Amelio a négocié le retour de Steve Wozniak. Cela permet à Amelio de faire une belle photo sur scène avec les co-fondateurs à ses côtés. Comme on peut l'imaginer, cela ne fait pas plaisir à Steve Jobs d'être utilisé de la sorte sans avoir été consulté. On peut le voir d'ailleurs s'eclipser rapidement de la scène : il n'aime pas être utilisé comme une mascotte.

Revenons sur le déroulé de la keynote. Amelio déblatère seul sur scène pendant plus d'une heure. Son propos n'est pas organisé, on dirait qu'il dit ce qui lui passe par la tête. Il se tient bizarrement à côté de son pupitre puis enlève sa veste qui laisse apparaître malheureusement de grosses traces de transpirations. Il semble vouloir passer pour quelqu'un de cool mais comme tous ceux qui essaient, il échoue lamentablement.

27 minutes mettre applaudissements

Quand Jobs arrive enfin sur scène, c'est sous un tonnerre d'applaudissements. Il présente comment Apple va fusionner des éléments de Copland avec NeXTSTEP pour produire un nouveau système au nom de code Rhapsody. La présentation exemplaire de Jobs, courte et maîtrisée, est un contraste saisissant avec la présentation longue, ennuyeuse et brouillonne d’Amelio.

Certains disent que si Amelio a fait une présentation si longue et ennuyeuse, c'est parce qu'en coulisse Jobs était en retard, obligeant le CEO à meubler pendant plus d'une heure. Ainsi, Jobs aurait fait exprès d'être en retard pour ensuite montrer à tout le monde à quel point sa présentation était maitrisée et ainsi montrer le contraste. Je n'ai pas réussi à confirmer cette affirmation, donc prenez cela avec une bonne dose de conditionnelle.

Le retour de Steve Jobs ne permet pas de cacher l'horreur des chiffres. Apple perd encore de l'argent avec un deuxième trimestre désastreux avec plus de 700 millions de $ de pertes. Apple perd de l'argent de toute part et presque à chaque trimestre. 

Afin de remédier à cela, de nouveaux licenciements sont annoncés, plus de 3000, soit plus de 6000 en un an. C'est un carnage.

Même en haut de l'échelle, il y a pas mal de changements. Les meilleurs éléments de NeXT sont positionnés aux places stratégiques comme Avie Tevanian qui passe à la tête du développement logiciel et Jon Rubinstein à la tête du matériel. Au final, toutes les personnes de confiance d'Amelio sont remplacées par des personnes fidèles à Jobs. Si on regarde de plus près, c'est comme si NeXT avait racheté Apple tellement les anciens de l'entreprise de Jobs ont pris tous les postes clés. Cependant, Steve Jobs dément encore publiquement vouloir prendre la place de CEO.

De son côté, son ami Larry Ellison annonce faire une offre d'achat hostile pour racheter Apple. Ce qui ne tient pas : ce genre d'attaque ne s'annonce pas et se prépare en secret. Amelio pense qu'Ellison est là pour le destabiliser et estime que Jobs est derrière cela afin de lui prendre sa place. Jobs, de son côté, convainc le conseil d'administration qu'il faut virer Amelio sinon ils risquent d'être poursuivi en justice par les actionnaires. Une menace qui semble concrète : le conseil est persuadé que Jobs peut pousser Ellison à les poursuivre.

Le coup fatal viendra le 26 juin 97 quand 1,5 million d'actions d'Apple sont vendues d'un coup. Cela provoque la chute brutale du cours de l'action. Une vente aussi rapide et d'une telle quantité d'actions ne peut venir que d'un haut responsable d'Apple, lançant un message violent concernant la confiance en interne sur le futur de l'entreprise. Evidemment, Amelio perd d'un coup le peu de confiance qu'avait le conseil d'administration en lui. Le conseil d'administration se réunit en urgence pour se séparer d'Amelio. Alors qu'il est mis en cause, Jobs dément formellement être la personne ayant vendu les actions. Or, la vente arrive exactement 6 mois après l'achat de NeXT. Vous vous rappelez que je vous avais dit qu'il n'avait pas le droit de vendre ses actions avant 6 mois ? 1,5 millions d'actions, pour être précis ? Exactement le nombre d'actions vendues le 26 juin 97 ? Personne n'est dupe et tout le monde sait que Jobs est le coupable. On apprendra plus tard que la personne qui a vendu toutes ses actions était évidemment Steve Jobs lui-même…

Le 4 juillet 1996, Gil Amelio est licencié et remplacé par Fred Anderson, en attendant que Steve Jobs prenne la suite.

Gil Amelio

Gil Amelio est resté en tout et pour tout 500 jours à la tête d'Apple. Durant son règne, l'entreprise a perdu plus de 1,5 milliard de dollars. Cependant, il serait injuste de tout mettre sur le dos d'Amelio. En effet, sa responsabilité est limitée : à son arrivée, il hérite d'une entreprise en mauvaise santé. Apple n'avait pas les bons produits, avait trop de stock de machines qu'elle n'arrivait pas à vendre, avait des ordinateurs de mauvaise qualité, n'avait pratiquement plus de liquidités, limitant les marges de manœuvre et la société avait un management totalement incompétent. Bien qu'Amelio commence à essayer de nettoyer tout cela tant bien que mal, ce n'est pas suffisant. Malgré tout, ses décisions sont les bonnes : il licencie les personnes qui ne font pas du bon travail et pour avoir de la liquidité, il commence à simplifier la gamme qui en avait grandement besoin, il lance de bons produits (comme l'ordinateur portable et l'ordinateur de bureau les plus puissants du marché quand même), il améliore sensiblement la qualité des produits et a trouvé, en temps record et en pleine crise, le système d'exploitation de prochaine génération.

Néanmoins, l'histoire entre Amelio et Apple n'était pas parti du bon pied. Dès sa nomination, il est jugé que sa rémunération est trop importante avec de nombreux bonus : 12 millions de $ par an minimum avec des primes de plus de 10 millions de dollars plus un prêt de 5 millions de $. Les actionnaires sont furieux et attaquent Apple en mars 1996 pour « compensations excessives ». Amelio essaie comme il peut de se justifier, en considérant que c'est un salaire normal pour un chef d'entreprise de la taille d'Apple. Il avouera plus tard que cela était une erreur, au moins au niveau de la communication.

Autre scandale qui ne fera pas de bien à son image : il est lié à son amour des avions. Amelio est un pilote amateur, il possède d'ailleurs un jet privé. Afin de pouvoir l'utiliser gratuitement, Amelio créé une société pour gérer son propre jet. Apple paye alors cette société pour l'utilisation, la maintenance et l'achat de kérosène du jet. C'est plus de 100 000$ par an qui sont dépensés. Là encore, Amelio est jugé comme un arnaqueur qui fait de l'extorsion de fond à la société qu'il est censé sauver.

Bref, tout cela fait qu'Amelio est mal vu chez Apple. Ces décisions d'urgence étaient les bonnes mais il n'a malheureusement pas eu le temps de voir le fruit de son travail. 

Anecdote

Pour finir cet épisode, je vous partage une petite anecdote. Guy Kawasaki, ancien software evangelist chez Apple, a écrit un article en 94, soit deux ans avant l'achat de NeXT par Apple. Dans cet article de MacWorld, Kawasaki fait un faux communiqué de presse sous la forme d'une blague. Dans ce faux communiqué, Apple annonce acheter NeXT et nomme Steve Jobs comme CEO. Dans ce communiqué, Markkula dit à Jobs : "veux-tu passer le reste de ta vie à vendre UNIX avec un enrobage de sucre, ou changer le monde ?" Jobs répond : "Comme je suis maintenant père, j'ai besoin d'une source de revenus plus stable". Le communiqué note que "grâce à son expérience chez Next, on s'attend à ce qu'il apporte un nouveau sens de l'humilité à Apple". Le communiqué citait également Bill Gates, qui affirmait qu'il y aurait désormais plus d'innovations chez Apple que Microsoft pourrait copier. Tout ce qui est dit dans le communiqué de presse est une blague, bien sûr. Mais la réalité a l'étrange habitude de rattraper la satire. Je vous ai mis le lien en description.