Transcription épisode 16

Ceci est la transcription de l’épisode 16 de Nolotec Podcast.

Le premier ordinateur qui sort sous la direction de Steve Jobs est le Power Mac G3. Néanmoins, Steve Jobs n'a pas pu y mettre sa patte, l'ordinateur ayant été intégralement développé avant son retour. Cela se voit : c'est une machine classique, une tour beige au design sans intérêt. Cependant, c'est un grand succès : grâce à son microprocesseur, c'est un ordinateur très puissant qui enchante les professionnels. Lors de la première année, c'est un million de Power Mac G3 qui sont vendus.

Comme on peut l'imaginer, le conseil d'administration est ravi. Non seulement Jobs arrive à faire des économies mais les Mac recommencent à se vendre. C'est logiquement que le conseil d'administration demande à Steve Jobs d'être CEO à temps plein et de laisser tomber le i voulant dire intérim de son titre de iCEO. On lui offre même 6 millions d'actions en compensation. Mais Steve Jobs refuse. Il dit : ce n'est pas une question d'argent. Ce n'est pas pour ça que je suis là. J'ai plus d'argent que je n'en ai jamais voulu dans ma vie.

À ce propos, je pense qu'on aimerait tous un jour pouvoir dire ce genre de phrase. Bref...

Àquoi joue Steve Jobs ? Il veut peut-être rester libre de faire ce qu'il veut. Ainsi, il peut partir d'Apple du jour au lendemain, rappelons qu'il n'a pas signé de contrat. Sans doute a-t-il encore des hésitations sur son engagement envers Apple sur le long terme. Cependant, ces hésitations s'érodent de jour en jour. Àla fin de l'année 97, quand on lui demande combien de temps il compte rester à la tête d'Apple, il dit : je vais être CEO ou chairman de la société pour toujours. J'ai confié Apple à un clown une fois. Pas deux. 

Àla même question, il répond 8 mois plus tard : il y a plusieurs mois, je me suis réveillé et j'ai décidé que je ferai de mon mieux aussi longtemps que je le pourrai et que je ne me soucierai pas de ce que les autres pensent. Je me concentre sur ma famille, Apple et Pixar, dans cet ordre.

Idée de départ de l'iMac

Steve Jobs doit présenter un produit marquant pour rassurer le monde sur la santé d'Apple, sur sa capacité à innover. La logique serait de présenter le nouveau système d'exploitation développé sur la base du NeXTSYSTEM. En effet, sa société a été rachetée pour cela, c'était le mandat de départ de Jobs avant de prendre la tête d'Apple. Cependant, cela est impossible. La transformation du NeXTSYSTEM en un système Mac demande beaucoup de modification et de temps de développement, c'est une saga en elle-même que j'aborderai dans un prochain épisode. Steve Jobs dira à ce propos : ce dont Apple a besoin plus que tout, c'est de livrer un super nouveau produit, pas nécessairement une nouvelle technologie. Le problème, c'est que je pense qu'ils ne savent même plus comment faire un bon produit. Cela ne veut pas dire qu'ils ne peuvent pas le faire de nouveau.

Malgré tout, Steve Jobs n'a pas le choix et il faut absolument présenter quelque chose de nouveau pour 98, après ce sera trop tard. 

Comme nous l'avons vu, le Power Mac G3 n'est pas un produit développé sous l'égide de Steve Jobs. Le premier ordinateur totalement géré par lui sera ce qui deviendra l'iMac.

Le concept de départ de l'iMac ne va cesser de fluctuer avec le temps. Au départ, Steve Jobs cherche un ordinateur pour sa fille ainée, Lisa, qui entre à l'université. Apple n'a aucun produit pouvant lui convenir. Je rappelle à l'époque qu'Apple ne propose aucun ordinateur pour moins de 2000$. Et Steve Jobs ne trouve rien non plus chez la concurrence. Il y voit donc une opportunité de marché.

Ceci étant, le temps manque. Il faut créer un ordinateur en quelques mois, donc impossible non plus de proposer un ordinateur totalement révolutionnaire. Steve Jobs va alors s'appuyer sur ce qui a été fait en interne depuis des mois. En effet, il montre à quelques personnes triées sur le volet un design d'ordinateur fait par Jony Ive en mousse. Sa forme est totalement atypique et il en est tombé amoureux. Ce design, effectué donc avant l'arrivée de Jobs, sera le design de départ de ce qui deviendra l'iMac. Une forme inédite, tout en courbe, en forme de goutte d'eau.

Par contre, l'idée de départ est très différente du résultat final. Steve Jobs compte faire un ordinateur réseau de type client léger. C'est une idée très à la mode à l'époque. 

Peut-être que Jobs est alors influencé par son ami Larry Ellison, patron d'Oracle et grand défenseur de ce concept. Ellison pense alors que le futur de l'informatique passe par des clients légers, sorte d'ordinateurs peu puissants sans disque dur (donc moins cher) connectés à Internet. Ellison a même créé une entreprise pour réaliser des ordinateurs de ce type : Network Computer.

Ainsi, Steve Jobs pense que l'iMac sera un ordinateur de type client léger avec un prix de 799$. Il aurait dit : nous allons battre Larry Ellison à son propre jeu.

Cependant, l'idée est séduisante mais dans les faits cela ne fonctionne pas. Sans doute est-il trop tôt, la vitesse des réseaux étant insuffisante. Nous pouvons voir aujourd'hui que ce concept a totalement sa place, la meilleure preuve étant le succès des ordinateurs de type Chromebook. Néanmoins, à l'époque, tous s'y sont cassés les dents, que ce soit Larry Ellison, Sun ou encore IBM. Au final, les utilisateurs veulent aller sur Internet pour surfer sur des sites tels qu'Amazon et Yahoo mais aussi avoir un ordinateur complet, utilisable même déconnecté d'Internet. De plus, les prix des ordinateurs sont en baisse constante, permettant d'avoir des ordinateurs classiques avec des prix comparables aux clients légers.

De fait, le concept de l'iMac évolue. Ce ne sera pas un client léger mais un ordinateur classique, au design jamais vu. Steve Jobs garde tout de même l'idée d'un prix le plus abordable possible et d'un ordinateur tout-en-un.

L'iMac reprend le concept même du Mac original : un ordinateur tout-en-un donc, pour le grand public, simple d'utilisation et avec une poignée pour le transporter facilement. Steve Jobs y ajoute un élément : internet. L'iMac doit être le Mac moderne fait pour naviguer sur Internet. Comme le Mac original, son développement se fait dans le plus grand secret par une équipe réduite. Le secret est tel que beaucoup de personnes travaillant sur le projet ne savent pas à quoi ressemble le produit final, et cela jusqu'à l'annonce publique.

Jobs veut que le design de l'iMac soit fondamentalement différent du reste des ordinateurs du marché. Il remarque à juste titre que la concurrence ne propose que des ordinateurs qui se ressemblent tous : ce sont des boites angulaires avec généralement la même couleur beige. Les machines sont alors considérées comme un élément utilitaire, généralement caché pour éviter qu'on les voit. L'iMac doit être tout le contraire : il doit être tellement beau que les utilisateurs pourront l'exhiber dans leur intérieur, comme une petite œuvre d'art.

Rappelons que c'est Apple qui a lancé la mode des ordinateurs beiges, Steve Jobs veut que l'iMac inspire de la même manière le monde de la technologie avec son design coloré.

Design de l'iMac

Le design de l'iMac ne devait pas être fait en interne au départ. Jobs pense embaucher Harmut Esslinger, patron de Frog Design. Steve Jobs a déjà travaillé avec lui à de multiples reprises. C'est Esslinger qui a créé le design "Snow White" sur lequel sera basé le design des produits Apple à partir de 1984. Il a aussi dessiné le NeXT Cube. Steve Jobs pense aussi à embaucher Giorgetto Giugiaro, célèbre designer automobile d'entre autre la DeLorean et de la BMW M1. Ettore Sotsass, designer des produits Olivetti, est une autre possibilité. Steve Jobs croit qu'Apple ne peut plus faire de design en interne car il pense qu'il n'y a plus de bons designers chez Apple. 

Cependant, il va quand même visiter le ID Studio qui fait tous les designs en interne d'Apple. Jobs le visite en dernier car il est dans un bâtiment éloigné du bâtiment central. Brunner, alors patron du ID Studio, avait fait exprès de le mettre à l'écart physiquement du reste de la société pour éviter que la politique se mêle du design. A ce sujet, vous pouvez écouter l'épisode 10 pour en savoir plus.

C'est au cours de cette visite que Jobs rencontre Jony Ive pour la première fois. Celui-ci d'ailleurs compte démissionner : il a même préparé sa lettre de démission. De même, Jobs pense le licencier et fermer le ID Studio pour sous-traiter tout le design. Néanmoins, tout change quand ils entament une discussion. Tout le monde s'accorde pour dire que Jony Ive est un excellent élément. Que ce soit Jobs, Anderson ou Rubinstein, tous disent à Jony Ive la même chose : reste car nous allons tout changer. Ils partagent avec Ive une toute nouvelle philosophie : Apple va faire de bons produits avant tout et le reste suivra au lieu d'essayer à tout prix de faire de l'argent. De son côté, Steve Jobs est subjugué par Jony Ive. Ils sont exactement sur la même longueur d'onde, ils se comprennent parfaitement, ils partagent la même sensibilité.

Bien que les premières décisions de Jobs ont été de tuer des produits designés par Ive comme le Newton et le TAM, Ive et Jobs travaillent bien ensemble. Ainsi, l'iMac sera le premier produit de la longue collaboration entre le designer et le CEO.

Lors de la visite, Steve Jobs est intrigué par le eMate : un ordinateur portable avec coque plastique translucide, machine un peu bâtarde qui est en fait un Newton sous la forme d'un ordinateur portable. Jobs aime l'utilisation de la transparence qui permet de voir les puces de la machine à travers le plastique coloré.

Il est alors décidé que l'iMac utilisera la forme en goutte d'eau trouvée par Jony Ive qui a tant plu à Jobs, en utilisant de la couleur avec de la transparence comme l'eMate. Autre élément distinctif : l'iMac n'aura aucun angle droit, absolument nulle part. Même le clavier et la souris sont tout en courbes. La transparence oblige les concepteurs à se préoccuper de l'apparence des puces électroniques internes qui sont pour la première fois visibles. Cela tombe bien, Steve Jobs a toujours milité afin que les puces et les connecteurs soient assemblés de manière harmonieuse, même quand il était impossible pour l'utilisateur de les voir. Cette fois-ci, il y a une bonne raison. Du coup, les puces sont toutes bien alignées, il n'y a pas de câbles qui donne une impression de pagaille, tout est propre, tout est net, même à l'intérieur de l'ordinateur. Certains remarquent que les puces avec leurs bus ressemblent un peu à une carte d'une ville futuriste.

Pour la couleur, après de nombreuses et longues discussions, le choix se porte sur un bleu électrique, appelé Bondi Blue pour rappeler les eaux turquoises de la plage de Bondi à Sydney. Le choix du plastique extérieur de l'iMac s'avère être plus difficile que prévu. Le soucis du détail est tel que les ingénieurs d'Apple vont visiter des usines produisant des bonbons pour étudier la fabrication de la couleur. Du fait de sa forme particulière, le casier est difficile à produire et cela coûte cher : plus de 60$ par casier. Cela peut paraitre peu pour un ordinateur vendu 1200$, mais 60$ est déjà plus de 3 fois plus cher que le prix d'un casier classique. Jobs s'en fout : il pense que cela vaut le coût.

Pour rappeler le Mac original, Ive place une poignée sur le dessus de l'ordinateur. Son utilisation est plus qu'anecdotique. En effet, avec ses 17 kg (soit 10 de plus que le Mac original), il est difficile d'utiliser cette poignée. Elle est plus là pour donner une impression de proximité avec l'ordinateur. Là aussi, la poignée coûte cher à produire mais Jobs comprend l'idée derrière et accepte le surcoût.

Malgré son poids, l'ordinateur garde des dimensions limitées car c'est un tout-en-un. Tout est ramassé à l'intérieur. À tel point que les ingénieurs croient au départ travailler sur un décodeur TV à cause des contraintes de dimension. D'ailleurs, ils n'arrêtent pas de se plaindre et disent que les spécifications sont impossibles à prendre en compte. Ils demandent pourquoi ils doivent tant s'embêter, ce à quoi répond Jobs : "Parce que je suis le patron et que je pense que vous pouvez le faire".

Steve Jobs n'arrête pas de parler de simplicité, c'est le maître mot de l'iMac. Du coup, presque tous les ports sont abandonnés et ils sont nombreux : adieu le Mac Serial, l'Apple Desktop Bus (ADB) et le SCSI. Tout cela est remplacé par un seul type de port, l'USB. 

Les fans d'Apple sont amers : ils ont pour la plupart investi massivement dans des périphériques qui deviennent, de fait, incompatibles avec l'iMac.

Comme l'iMac doit être l'ordinateur pour l'ère internet, il intègre un modem ainsi qu'un port réseau de typer Ethernet.

Origine du nom iMac

Une fois le design effectué, il faut trouver un nom à la machine. Pour cela, Steve Jobs fait appel à ses acolytes de toujours de Chiat/Day : Lee Clow et Ken Segall. Dès le départ, il leur met la pression : ils doivent trouver le nom de l'ordinateur qui doit sauver Apple. Il leur explique le concept d'ordinateur pour Internet et les prévient : il a déjà trouvé un nom qu'il trouve parfait. A eux de trouver un nom encore meilleur. Il leur dit : « Nous avons un nom que nous aimons beaucoup. Je veux voir si vous pouvez trouver mieux : le nom est MacMan ». Oui, MacMan. Comme Batman mais coloré, sans la cape et sans relation ambigüe avec un jeune garçon.

Clow et Segall se regardent incrédules. Ils sont loin d'être convaincu, c'est le moins que l'on puisse dire. Pour être honnête, ils trouvent le nom atroce. « Tant que vous ne trouvez pas un meilleur nom, ce sera MacMan pour nous », explique Jobs. Clow et Seagull sont alors d'autant plus motivés : il faut absolument trouver un nom sinon Jobs sera capable de torpiller son nouveau produit avec un nom horrible.

Jobs leur donne une liste de contraintes pour ce nom. Premièrement, le nom doit contenir le mot Mac afin d'indiquer que c'est le nouveau Mac. Deuxièmement, c'est un ordinateur prévu pour utiliser massivement internet avec son modem et son lot de logiciels préinstallés. Par exemple, il permet de se connecter facilement et d'avoir une adresse email gratuite, chose très importante pour l'époque. Beaucoup sont ceux qui se connectent sur Internet uniquement pour s'envoyer des mails. L'email est la killer app d'internet. Pour la petite histoire, il n'était pas rare à l'époque que des personnes s’envoient des mails pour ensuite téléphoner au destinataire dans la foulée pour vérifier qu'il a bien reçu son message, et ce faisant obligeant les deux personnes à se déconnecter d’Internet pour se téléphoner en passant par la ligne téléphonique fixe, qui ne peut faire qu’une chose à la fois avant l'arrivée de l'ADSL.

Troisièmement, le nom doit être sérieux car le design de l'ordinateur peut faire penser à un jouet. Comme si MacMan était un nom sérieux...

Je résume : il faut un nom qui intègre le mot Mac, un nom qui rappelle internet et un nom sérieux. Jobs ajoute une dernière contrainte : si on pouvait dériver le nom pour d'autres produits, ce serait parfait. Puis, avant de les laisser travailler, il leur lance : "Ah, et dernière chose : vous avez une semaine. Le packaging part en production dans 7 jours".

Le travail commence évidemment rapidement et 5 noms sont trouvés. Comme c'est souvent le cas quand on demande à des créatifs plusieurs choix, les 5 propositions donnent l'illusion du choix car Segall a un seul vrai nom qu'il trouve de qualité. Il propose iMac où le i peut dire : Internet mais aussi individu, imaginatif, inventif, inspirant, information, instructif.

Jobs n'est pas emballé et rejette les 5 propositions. Cependant, Segall se bat pour imposer iMac jusqu'au moment où Jobs dira : « Aujourd’hui, je ne le déteste pas, mais je ne l’aime pas non plus ». Et c’est ainsi qu’il sera choisi.

Présentation

Le jour de la présentation public de l'iMac, le 6 mai 98, Steve Jobs se présente avec un costume, comme pour la présentation du tout premier Mac. D'ailleurs, la présentation se fait dans la même salle : le Flint Center. Avant de commencer la présentation en tant que tel, Steve Jobs se permet un petit moment de nostalgie, chose rare chez lui. Il commence en parlant de trois personnes qu'il a invité dans le public. Il dit : "j'ai créé la société avec Steve Wozniak dans le garage de mes parents, et Steve est ici aujourd'hui. Nous avons été rejoints par Mike Markkula et, peu après, par notre premier président, Mike Scott. Ces deux personnes sont présentes dans le public aujourd'hui. Et aucun d'entre nous ne serait ici sans ces trois hommes".

Lors de cette keynote, Steve Jobs a un premier objectif : rassurer le marché sur la santé d'Apple. D'autant plus que beaucoup demandent qu'Apple change de modèle économique, quitte à abandonner soit le matériel, soit le logiciel. En effet, le succès insolent de Microsoft donne des idées et tout le monde veut copier leur modèle.

Jobs est rassurant : les ventes sont en hausse, notamment grâce au nouveau processeur PowerPC G3 qui est plus puissant que le concurrent direct d'Intel, le Pentium II. Quand il passe à la présentation de l'iMac, Steve Jobs fait marcher son champ de distorsion de réalité à plein régime. Il commence par présenter le concept de l'iMac en deux phrases : L'excitation d'internet. La simplicité du Macintosh.

Il commence par présenter les ordinateurs en vente : ils sont tous sous la forme de boites anguleuses beiges. Et il continue : "et j'ai le privilège de vous montrer à quoi ils vont ressembler à partir d'aujourd'hui". Il soulève un drap sous lequel l'iMac était caché. La lumière fait briller l'ordinateur de mille feux, permettant de bien accentuer sa couleur. 

Il présente l'iMac comme meilleur en tout point que la concurrence. Que ce soit en performance pure grâce à son processeur, que ce soit le design jamais vu, le nombre d'entrée/sortie (grâce à son modem, son port réseau et son port infrarouge) et la taille de l’écran. Ensuite, il fait la démonstration selon laquelle un ordinateur tout-en-un est une solution supérieure au format de tour classique, qu'il considère fait pour le public professionnel comme le Power Mac G3. Or, l'iMac vise le grand public.

Sur scène, Steve Jobs semble subjugué par le design de l'iMac. Il dit : « On dirait qu’il vient d’une autre planète, une planète avec de meilleurs designers. ». Il continue : l'arrière de l'iMac est plus beau que la façade de tous les autres ordinateurs.

Pour information, la fiche technique de l'iMac montre un ordinateur complet et équilibré : l’iMac a un processeur PowerPC G3 de 233MHz avec 32 Mo de RAM, un écran 13,8 pouces avec une résolution impressionnante pour l’époque de 1024*768 pixels, un disque dur de 4Go, un lecteur CD-ROM 24X, un modem V90 et un port réseau Ethernet 10/100Mbits. Bref, rien ne manque.

Jobs finit avec un slogan : « L’iMac est l’ordinateur de l’année prochaine pour 1 299 $, pas l’ordinateur de l’année dernière pour 999 $ ». Pour rappeler le Mac original qui avait écrit sur son écran Hello, l'iMac a le même Hello avec again entre parenthèse.

Comme souvent, la présentation s'est passée sans accroc. La facilité déconcertante de Steve Jobs cache un gros travail de préparation. Or, tout a failli être annulé seulement quelques heures auparavant. Lors des multiples répétitions, Steve Jobs se rend compte en utilisant les prototypes que le lecteur CD est différent de ce qu'il avait anticipé. En effet, un bouton sur le côté permet de sortir le plateau sur lequel on peut poser un CD. Quand il voit cela, Steve Jobs est consterné et dit : c'est quoi cette merde ? Jon Rubinstein, patron du hardware, répond que c'est le lecteur CD. Tout le monde est muet et ne comprend pas le comportement de Steve Jobs. En fait, Jobs a toujours utilisé des lecteurs CD haut de gamme, où le CD est inséré dans une fente et le lecteur avale le CD. Or, Rubinstein se défend, il a toujours montré un lecteur CD avec plateau et non avec un slot. Jobs n'en démord pas, il a toujours vu un slot. Il est tellement déçu et en colère qu'il a les larmes aux yeux. C'est trop tard pour faire quoi que ce soit. 

Les répétitions sont annulées et tout le monde craint que la présentation soit annulée et que la sortie de l'iMac sera repoussée. Après de nombreuses discussions, Rubinstein et Jobs se mettent d'accord pour lancer l'iMac tel quel et que pour la prochaine version, le lecteur de CD sera changé.

Marketing

Pour accompagner la sortie de l'iMac, il faut une campagne marketing de grande ampleur. Elle sera la plus chère de l'histoire d'Apple : 100 millions juste pour la promotion de l'iMac. Steve Jobs n'a pas le choix : pour toucher le grand public, il faut une campagne marketing massive. 

Pour cela, Apple produit entre autre une vidéo appelée Simplicity Shootout. Elle a pour but de démontrer à quel point l'iMac est plus facile à utiliser que n'importe quel autre ordinateur. On y voit un enfant de 7 ans, aidé par un chien, brancher un iMac neuf et le connecter à Internet. La vidéo le met en concurrence avec un étudiant qui doit faire la même chose avec un ordinateur de marque HP. Le résultat est sans appel : l’iMac est allumé en moins de 5 minutes, et connecté à Internet en moins de 9. Le HP met trois fois plus de temps à être allumé, et aussi trois fois plus de temps à se connecter à Internet.

Mais c'est visuellement où la différence est frappante. Le HP met une vraie pagaille : il lui faut une multiprise pour brancher l'ordinateur, l'écran ainsi que les haut-parleurs alors que tout est intégré pour l'iMac qui n'a qu'un seul câble d'alimentation. De plus, il faut des câbles aussi pour connecter l'écran et les haut-parleurs à l'ordinateur. Bref, en comparaison l'iMac est largement gagnant. D'autant plus que rien n'est épargné à l'HP, comme par exemple l’enregistrement de Windows 95 en rentrant le numéro de série ou un plan où on peut voir tous les manuels fournis

La vidéo ne manque pas d’humour avec l’enfant qui va voir sur Internet son portfolio d’actions en attendant, pendant presque 20 minutes, que son concurrent finisse de tout mettre en place. Pour finir, la voix off dit que la comparaison n’est pas juste, car l’enfant est aidé par un chien... La vidéo est mise sur le site Internet d’Apple et devient l’une des toutes premières vidéos virales.

La campagne marketing fonctionne. L'iMac est un énorme succès. Les précommandes sont au nombre de 150 000, du jamais vu. C'est le Mac qui s'est vendu le plus rapidement de toute l'histoire. De plus, beaucoup d'acheteurs n'avaient jamais acheté d'ordinateur auparavant alors que d'autres n'avait jamais acheté de Mac. La part de marché des Mac augmente et c'est une bonne nouvelle pour Apple. Une statistique impressionne : 89 % des utilisateurs utilisent l’iMac pour naviguer sur Internet. Il est vraiment l'ordinateur grand public pour naviguer sur Internet.

800 000 iMac sont vendus dans l'année 1998, et en 12 mois c'est un total de 2 millions : c'est colossal. Afin d'accompagner ce succès, Apple annonce un accord de distribution avec Best Buy dans plus de 300 magasins. Steve Jobs annonce un quatrième trimestre d'affilé avec bénéfices. Apple finit l'année 1998 avec plus de 300 millions de bénéfices. 

Apple ne se repose pas sur ses lauriers et va proposer des mises à jour à l'iMac régulièrement, augmentant la vitesse du processeur, proposant une meilleure carte vidéo, augmentant la RAM, etc. Puis, l'iMac sera proposé avec différentes couleurs, rappelant un peu le fonctionnement du milieu de la mode. On aura droit au Tangerine (orange), Lime (vert), Strawberry (rouge), Blueberry (bleu), Grape (violet) et plus tard Blue Dalmatian : une sorte de bleu tacheté de blanc et enfin Flower Power.

Évidemment, le lecteur de CD est rapidement modifié afin d'avoir un slot plutôt qu'un plateau : on ne refuse rien à Steve Jobs.

Critiques de l'iMac

Quand l'iMac est annoncé, les critiques fusent. Certaines sont plutôt positives, louant le design avant-gardiste et sa simplicité d'utilisation. Cependant, d'autres sont beaucoup plus circonspects. Par exemple, Bill Gates se permet une petite remarque sarcastique : "la seule chose qu'Apple offre maintenant, c'est le leadership en matière de couleurs." 

Ce à quoi Jobs répond : "Ce que ne comprennent pas nos concurrents, c'est qu'ils pensent que c'est une question de mode, et qu'ils pensent que c'est une question d'apparence. Ils se disent : on va coller un peu de couleur sur ce bout d'ordinateur de pacotille, et on en aura un aussi". Steve Jobs a malheureusement raison. La concurrence va souvent se contenter d'ajouter des panneaux en plastique de couleur sur leur tour beige.

Cependant, le design de l'iMac provoque aussi un certain nombre de contraintes gênantes. Impossible pour l'utilisateur de changer la carte vidéo, la carte mère, le microprocesseur ou de réutiliser l'écran pour un autre ordinateur. Tout juste est-il possible d'ajouter de la RAM. Ensuite, la forme de l’iMac cache aussi le fond : c'est un ordinateur aux caractéristiques techniques banales. Il n’est ni plus rapide ni plus puissant que les autres ordinateurs, or en informatique c'est le nerf de la guerre. Tout le monde se bat pour montrer que les caractéristiques techniques de son ordinateur sont bien meilleures que celle de la concurrence. Au niveau du design, la poignée est un gadget car il est impossible de soulever les 17 kg de la machine avec. Beaucoup sont conquis par la beauté de l’objet, et non par ce qu’il permet de faire. Cette critique de « la forme avant le fond » reviendra régulièrement au sujet des différents produits Apple.

Le design de l'iMac déplait aussi car cela le fait trop ressembler à un jouet. Critique similaire à celles qu'avait eu en son temps le premier Mac avec sa souris jugée comme gadget. Or, ce design particulier est bien ce qui fait le succès de la machine. Steve Jobs comprend qu'il permet de rassurer les utilisateurs et permet à l'iMac d'avoir sa propre personnalité.

Cependant, un élément de design qui est un échec complet est la souris de l'iMac. Bien que Steve Jobs l'appelle la souris la plus cool du monde, c'est une vraie merde. Elle est complètement ronde et donc très inconfortable à utiliser, d'autant plus qu'elle est aussi trop petite. J'ajoute qu'il est impossible de savoir dans quel sens elle se trouve juste en la regardant à cause de sa forme totalement symétrique. Enfin, le câble est trop court. La souris est un tel échec qu'elle sera rapidement remplacée par l'Apple Pro Mouse à la forme plus conventionnelle. La souris de l’iMac fait partie des pires produits de l'histoire d’Apple.

Autre inconvénient majeur de l'iMac : il ne possède pas de lecteur de disquettes. En parallèle, tous les ports classiques du Mac disparaissent au profit du seul USB donc il devient virtuellement impossible de transférer des données d'un iMac vers un autre ordinateur. D'ailleurs, l'absence de lecteur de disquettes n'est pas mentionnée dans la présentation. Steve Jobs pense que pour cela tout le monde va utiliser Internet, mais les débits sont encore trop faibles pour la plupart des gens. Il est possible tout de même d'acheter un lecteur de disquettes externe. Autre élément gênant, l'utilisation du port USB en remplacement de tous les autres ports comme les ports ADB ou SCSI. Or, il n'existe aucun périphérique USB à l'annonce de l'iMac. Même au bout de plusieurs mois, ils se comptent sur les doigts d'une main. Le succès de l'iMac va pousser les constructeurs à proposer des produits utilisant l'USB. On peut même dire que l'iMac est un facteur décisif pour l'adoption de ce standard.

Origines de l'iMac

Alors que l'iMac est souvent présenté comme la machine de Steve Jobs, un certain nombre de sources indiquent que ce n'est pas si simple. Comme nous l'avons vu, la forme générale de la machine a été dessinée par Jony Ive avant le retour de Steve Jobs pour un autre projet. De plus, un projet d'ordinateur d'entrée de gamme avait déjà été lancé par Gil Amelio. Des sources disent que le projet était en fin de développement quand Amelio a été remercié. Jobs aurait alors terminé le projet et lui aurait donné le nom iMac. Ces mêmes sources d'ailleurs disent que tous les produits Apple sortis entre 1997 et 2000 étaient tous des projets lancés sous Amelio.

Tout cela est difficile à vérifier. Ceci étant, Steve Jobs devient CEO en septembre 97 et l'iMac est annoncé en mai 98. Impossible dans ce laps de temps de développer une machine totalement nouvelle. Steve Jobs lui-même a des doutes sur la capacité d'Apple à créer un bon produit. Alors, l'iMac était-il un projet d'Amelio ou un tout nouveau produit créé sous la direction de Steve Jobs ? Comme souvent, la vérité est sans doute entre les deux : Jobs a dû récupérer des projets d’Amelio, mais a su les modifier de manière suffisamment significative pour les rendre attirants. Difficile d’imaginer un iMac et un iBook coloré présenté par Amelio, ça ne va pas avec le personnage.

Si l'on étudie l'iMac avec attention, on se rend compte que la machine n'a rien de révolutionnaire. Ce qui est logique étant donné le temps de développement limité. Ainsi, au niveau matériel, l'iMac est largement basé sur le Power Macintosh G3 All-in-One qui sort 4 mois avant l'iMac. Il a un surnom peu flatteur en français. Comme il ressemble à une molaire avec sa couleur claire et sa forme en hauteur, il est appelé le Molar Mac, molar voulant dire molaire en anglais. Comme son nom l'indique, Power Macintosh G3 All-in-One, c’est un ordinateur « tout-en-un » de couleur beige tout en hauteur (comme le Macintosh original). Le haut du casier est un plastique blanc translucide tout en courbes, prémices du design de l’iMac. Le G3 All-in-One a le record de poids pour un Mac : presque 27 kilos ! Contrairement à l’iMac, il possède des ports d’extension PCI, un lecteur de disquettes (avec la possibilité de commander une version avec un lecteur de disques ZIP), une carte vidéo que l’on peut changer et de nombreux ports (ADB, SCSI, etc.). Des ports USB et Firewire peuvent être ajoutés via des cartes d’extension (d’où leur utilité…). Pratiquement tous les composants peuvent être sortis grâce à un tiroir derrière la machine permettant de tout pouvoir changer/réparer.

Cet ordinateur a été uniquement vendu pour le marché de l’éducation. À ce propos, il possède deux ports audio en façade permettant à deux étudiants d’écouter une vidéo en même temps. De plus, il n’a été disponible à l’achat qu’un an et est rapidement remplacé par l’iMac. Ceci étant, l'iMac lui doit beaucoup. On peut dire que l’iMac est un G3 All-in-One simplifié à l’extrême : sans lecteur de disquette, sans vieux ports, tous remplacés par l’USB, sans possibilité de mettre des cartes d’extension, sans possibilité de le réparer facilement, mais en contre partie il est plus petit, plus léger (dix kilos de moins quand même !) et surtout avec un design beaucoup plus attirant.

La guerre des clones : le retour mais différemment

Le succès de l'iMac ne passe pas inaperçu. Non seulement c'est le Mac le plus vendu de l'histoire d'Apple, mais l'iMac est aussi l'ordinateur le plus vendu en 1999, devant la concurrence de Dell, Packard Bell, Gateway et HP. C'est logiquement que la concurrence commence à copier son design iconique. Dès 1999, des ordinateurs Wintel sortent avec des courbes ou des couleurs très similaires. Citons le ePower de Future Power ou encore le eOne de eMachines qui copient eux aussi le design de l'iMac sans vergogne. Apple les poursuit en justice, les obligeant à arrêter la commercialisation de leurs modèles.

L'influence du design de l'iMac va bien au-delà du milieu de l'informatique. Dans les films et les séries, il devient l'ordinateur qui apparait par défaut (sans doute aidé par l'équipe marketing d'Apple). De même, de nombreux produits vont s'inspirer du design de l'iMac en ajoutant du plastique coloré translucide comme l'appareil photo (Kodak DC240i Zoom), des haut-parleurs (Pele Apolla Speakers) ou encore une imprimante (Apollo P2200). Comment aussi ne pas aborder les différentes couleurs plastiques translucides de la Nintendo 64, de la Game Boy Color et de la Wonder Swan, clairement inspirées par l’iMac ?

L’iMac original, renommé iMac G3 par la suite, continuera à être vendu en parallèle des iMac G4 jusqu’en 2003. Au cours de sa vie, il s’écoulera à plus de 6 millions d’exemplaires. Chaque génération sera moins chère, en ajoutant de nouvelles technologies et de nouvelles couleurs. La leçon la plus importante de l’iMac pour Apple est que le grand public n'est pas intéressé par les spécifications techniques. Le grand public est beaucoup plus sensible aux choix sur la couleur et le design général. Du coup, le choix se porte sur les goûts de chacun et non sur les caractéristiques techniques : la technologie devient un moyen d’expression. Une leçon qu’Apple appliquera sur tous ses produits par la suite.